Afrique du Sud : Tensions raciales

Afrique du Sud : Tensions raciales

Dans une Afrique du Sud qui tente de se réinventer sous une forme multiraciale depuis moins de vingt ans, la scène relève du cauchemar. Devant le petit tribunal de Ventersdorp, où comparaissaient, mardi 6 avril, les deux assassins présumés du leader d'extrême droite Eugène Terreblanche, les Blancs sont à droite. A gauche, les Noirs. Au milieu, des policiers qui n'en mènent pas large et aimeraient tendre entre les groupes vociférants des barbelés pour éviter que la confrontation raciale ne tourne à la rixe, mais leurs camions s'embourbent. Bref instant de détente.

Ce qui oppose les deux masses hostiles, c'est l'ouverture du procès de l'homme de 28 ans et de l'adolescent de 15 ans employés sur l'exploitation d'Eugène Terreblanche qui l'auraient tué au terme d'une dispute suscitée par son refus de payer trois mois d'arriérés de salaire. Cette version doit être prise avec précaution. Dans l'immédiat, nul ne s'interroge par ailleurs sur le fait qu'un mineur soit employé, et apparemment sous-payé sur une ferme sud-africaine.

Le procès, déjà happé par la rage raciale, se tiendra à huis clos. Pour les quelques centaines de militants ou sympathisants du parti d'Eugène Terreblanche, le Mouvement de résistance afrikaner (AWB) - dont l'axe politique fut longtemps d'utiliser la violence pour pousser les valeurs de l'apartheid -, Eugène Terreblanche était un "combattant de la liberté", selon Tiaan Theron, qui a fait neuf heures de route pour venir, à Ventersdorp, défendre le droit des Afrikaners à "se gouverner eux-mêmes", et se définit comme "un Boer (fermier, et aussi ensemble des Afrikaners, descendants de colons européens)".

En face, des cadres de l'ANC (Congrès national africain, parti au pouvoir) organisent la contre-manifestation. Dans la foule venue du township voisin de Tshing, on baisse encore le ton pour dire certaines choses. "On a toujours eu peur des fermiers. On ne peut pas se disputer avec ces gens, ils sont trop dangereux, estime Godefrey Mokone. Le soir, ils disent que les Noirs ne doivent pas rester en ville..."

Côté ANC, on a un héros : Julius Malema, leader de la branche de la jeunesse du parti, qui surfe sur les relations raciales en maniant un langage qui emprunte plus à Robert Mugabe, le dictateur zimbabwéen, qu'à Nelson Mandela. Julius Malema vient de remettre en circulation une vieille chanson des années de lutte, dont le refrain clame "Tuez le Boer !"

HAINE PALPABLE


Côté afrikaner, on retourne la provocation en se présentant en victimes d'une campagne "d'élimination", selon Quentin Diederichs. Car chez les Noirs comme chez les Blancs, on se comprend sur une chose : l'assassinat d'Eugène Terreblanche est un formidable outil de promotion politique. Alors, le sang ne coulera pas à Ventersdorp aujourd'hui, car chaque camp sait combien le spectacle de la violence serait contre-productif. Le porte-parole de l'AWB, Piet Steyn, annonce même qu'il n'est plus question de "vengeance".

L'AWB était au bord de l'extinction. Le parti assure avoir reçu les inscriptions de "3 000 nouveaux membres" depuis dimanche, et s'est donné un nouveau chef, Steyn van Ronge, pour promouvoir des "solutions non violentes" en tentant d'apparaître comme le parti des Blancs victimes des injustices de l'Afrique du Sud post-apartheid. "Comment pourrais-je être heureux d'être le représentant d'une minorité dans un pays gouverné par une majorité qui m'est hostile, et où les gens comme moi se font tuer ?", s'interroge Tiaan Theron.

Quelques trublions négligent les consignes, comme ce monsieur aux bras épais comme des cuisses qui ne peut résister à la tentation de donner une brève leçon d'histoire, mais pas son nom : "On était juste une poignée [au XIXe siècle, les premiers Afrikaners] et on a conquis toutes ces terres parce que Dieu était avec nous. C'est Dieu qui nous a amenés ici, on ne va pas partir comme ça. Dites-le à vos Noirs." On sort, côté Afrikaner, les drapeaux de l'apartheid et des républiques boers d'avant 1910. En face, les Noirs chantent. La haine est palpable, l'histoire sud-africaine n'a pas pris fin, mardi, à Ventersdorp.

Jean-Philippe Rémy