En Afrique du Sud, les nostalgiques de l'apartheid enterrent leur chef, Eugène Terreblanche

En Afrique du Sud, les nostalgiques de l'apartheid enterrent leur chef, Eugène Terreblanche

Cela fait une éternité que l'extrême droite sud-africaine n'était pas parvenue à organiser un tel rassemblement. Ce vendredi 9 avril, la galaxie de ses groupuscules, de ses militants et de ses sympathisants enterre sa figure la plus emblématique, Eugène Terreblanche, battu à mort dans sa ferme le 3 avril. Ses assassins présumés sont deux de ses employés noirs.

 

Alors que la foule grossit devant l'église protestante afrikaner où doit être célébré le culte à la mémoire du chef du Mouvement de résistance afrikaner (AWB), parti d'inspiration fasciste au racisme aigu, les estimations deviennent difficiles. Combien de personnes ont fait le voyage jusqu'à Ventersdorp, son fief ? Dix mille personnes, peut-être plus. C'est beaucoup pour un mouvement extrémiste. Et peu en regard de la population du pays (48 millions d'habitants), d'autant que les divisions font partie intégrante du milieu et que les groupes et groupuscules de cette mouvance sont en perte de vitesse.

 

En venant enterrer Eugène Terreblanche, viennent-ils aussi enterrer leurs espoirs d'inverser le cours de l'histoire et de réinstaurer en Afrique du Sud une forme de "développement séparé", qui est exactement le sens du mot apartheid ? L'AWB et ses satellites idéologiques ne peuvent prétendre, loin de là, avoir le soutien des trois millions de membres de la communauté Afrikaner, et encore moins du reste des Blancs sud-africains.

Mais aujourd'hui, l'extrême droite en deuil retrouve l'un de ses ressorts fondamentaux, celui de la peur. Eugène Terreblanche a été tué dans sa ferme. Voilà qui fait écho aux assassinats de fermiers blancs en milieu rural. Il y a contestation sur les chiffres (2 500 depuis 1994, peut-être davantage). Le nombre d'ouvriers agricoles noirs maltraités est encore plus flou, mais il est évident que la campagne sud-africaine est violente.

Ce matin, les derniers morts sont dans toutes les conversations de la foule bigarrée de l'extrême droite. Devant l'église de brique marron se massent des messieurs avec des insignes copiés sur ceux de l'Allemagne nazie. On arbore des muscles, des ventres, des teints d'hommes vivant au grand air, le tout avec une gamme d'uniformes communs aux néofascismes de tous les pays, avec quelques touches de fantaisie plus locale.

Dans le pré qui s'étend à côté de l'église arrivent en file indienne des motards de la galaxie Hell's Angels, qui font vrombir leurs cylindrées. Le spectacle peut commencer.

Pour le folklore, on peut compter sur l'extrême droite sud-africaine, surtout pour l'enterrement de son dirigeant. Avec le temps, certes, Eugène Terreblanche avait perdu une partie de son aura. Le tribun était fatigué. On ne le voyait plus parader sur son grand cheval bai, Attila, depuis une chute - devant les caméras - qui l'avait humilié. Une journaliste avec laquelle il avait eu une aventure l'avait assassiné symboliquement en le décrivant, une fois l'affaire éventée, comme "un porc dans un costume de safari".

Pour le ban et l'arrière-ban de l'extrême droite cette journée est presque une divine surprise. Cela faisait longtemps qu'Andrew Ford n'avait pas déployé son drapeau du BWB, une structure jumelle de l'AWB. Ce n'est pas un homme que la violence effraie. Il dit être "en guerre avec les bâtards noirs".

Le projet paraît fantaisiste, mais, surfant sur la vague des peurs, il n'est pas impensable que l'extrême droite connaisse un renouveau. Moins ouvertement extrême, capable de recruter plus large. Des gens comme Anna Fourie, par exemple. La jeune femme travaille sur les bateaux de croisière et ne vit pas cloîtrée dans une ferme sud-africaine : elle vogue sur les océans du vaste monde. Aujourd'hui, elle est à Ventersdorp, et affirme : "Nous ne sommes pas là pour l'AWB. Nous sommes là en tant que Blancs qui disent qu'ils n'en peuvent plus d'être assassinés."

On ne sait si la terre sera légère à Eugène Terreblanche, mais le chef du parti d'extrême droite sud-africain qui avait vécu dans la violence est finalement enterré dans la paix. A Ventersdorp, le gouvernement a déployé de gros moyens pour éviter tout débordement, surtout après les appels à la vengeance. La police est partout, fouille les véhicules à la recherche d'armes. L'accès au township voisin est sous haute surveillance, pour éviter les expéditions punitives. Des hélicoptères tournoient dans le ciel. L'un d'entre eux, curieusement, a été affrété par l'AWB, qui voulait filmer son drapeau géant, de la taille d'un stade de football, déployé dans un herbage.


Jean-Philippe Rémy