La caraibe , ce faux paradis de shaka zulu :Record de violences aux Caraïbes

La caraibe , ce faux paradis de shaka zulu :Record de violences aux Caraïbes

Plages paradisiaques bordées de cocotiers, resorts tout inclus et croisières sur les eaux turquoise : les Caraïbes évoquent les vacances ensoleillées et le farniente à longueur d'année. Au revers de ces images de dépliant touristique, cette région est pourtant la plus violente du monde. Dans un récent rapport intitulé "Criminalité, violence et développement dans les Caraïbes", la Banque mondiale souligne que "les taux d'homicide y sont plus élevés que dans toute autre région du monde et que les taux d'agression se situent largement au-dessus de la moyenne mondiale". Attisée par le trafic de drogue, cette violence "compromet la croissance et la prospérité".

Avec un taux d'homicide de 30 pour 100 000 habitants, le bassin des Caraïbes devance l'Afrique du Sud et de l'Ouest (29), l'Amérique du Sud (26) et l'Amérique centrale (22). Les indicateurs de violence varient d'une île à l'autre dans cette région où l'extrême pauvreté d'Haïti côtoie l'opulence des Bahamas. Dans la majorité des pays et territoires formant l'arc insulaire, qui s'étire des côtes vénézuéliennes à la Floride, la criminalité a progressé ces dernières années. Parfois de manière spectaculaire, comme dans les îles jumelles de Trinité-et-Tobago et en République dominicaine, où les taux d'homicide ont respectivement triplé et doublé entre 2000 et 2010.


Les pages des quotidiens dominicains sont remplies de faits divers sanglants. Le 24 mai, El Nacional a fait sa "une" sur l'assassinat par balles de trois jeunes à la sortie d'une discothèque d'un quartier huppé de Saint-Domingue, à la suite d'une rixe apparemment banale. Trois jours plus tôt, un Colombien, accusé de trafiquer 442 kg de cocaïne et pourtant en liberté sous caution, était abattu de plusieurs balles devant un débit de boisson. Deux cents femmes ont été tuées en 2009 par un mari ou un concubin jaloux. La violence contre les femmes est très répandue. L'initiation sexuelle de 48 % des adolescentes a été "forcée", révèle une enquête réalisée en 2009 dans neuf pays de la région. Les Bahamas détiennent le peu enviable record mondial du taux de viol.

Diverses par leurs héritages coloniaux, leurs tailles, leurs populations, leurs langues et leurs niveaux de vie, les îles ont un point commun : elles sont devenues l'une des principales plaques tournantes du trafic de stupéfiants. Hormis le cannabis jamaïcain ET DOMINIQUAIS, la région ne produit pas de drogue. Mais une part importante de la cocaïne colombienne y transite à destination de l'Amérique du Nord et de l'Europe, un marché en expansion. En début 2010, au moins 10 tonnes de cocaïne sont passées par la Jamaïque, et 20 tonnes par l'île d'Hispaniola, que se partagent Haïti et la République dominicaine.

Les saisies d'héroïne et de drogues synthétiques, notamment d'ecstasy, ont fortement augmenté ces dernières années. Parmi les vingt pays identifiés par les Etats-Unis comme étant des centres majeurs de production ou de transit de drogues, quatre appartiennent aux Caraïbes : les Bahamas, la République dominicaine, Haïti et la Jamaïque. Les services des trafiquants régionaux sont souvent rémunérés en marchandises, qui sont écoulées localement. Minime, il y a une vingtaine d'années, la consommation de cocaïne et de crack s'est répandue dans toutes les couches de la population. En République dominicaine, les gangs, appelés les "nations", recrutent des enfants pour distribuer la drogue. Selon le code pénal, les mineurs de moins de 13 ans ne peuvent être arrêtés. Exclus d'un système éducatif déficient, sans perspectives d'emploi, les jeunes paient le plus lourd tribut à la violence liée au trafic de stupéfiants. Près de la moitié des victimes d'homicides sont âgées de 11 à 30 ans en République dominicaine.

Etroitement associé au négoce illicite des stupéfiants, le trafic d'armes est en pleine expansion. Dans plusieurs pays de la région, comme la Jamaïque ou la République dominicaine, la prolifération d'armes de poing n'est pas nouvelle. Les partis politiques les distribuent depuis longtemps à leurs sympathisants, et le port d'armes, légal ou non, est commun. De plus en plus de fusils d'assaut et d'armes de guerre, souvent achetés aux Etats-Unis, sont introduits en contrebande.

CULTURE DE LA CORRUPTION

Trinité-et-Tobago est l'un des pays où les crimes ont fortement augmenté. Ces deux îles jumelles, dont l'économie est dopée par l'envolée des prix des hydrocarbures, ont connu une explosion du nombre des kidnappings. Nouveaux dans la région, les enlèvements avec demande de rançon sont devenus une véritable industrie à Trinité-et-Tobago et en Haïti. La corruption sert de terreau à la criminalité. En Haïti, les mafias ont occupé le vide créé par l'effondrement de l'Etat. Illustrant la culture de la corruption et de l'impunité qui gangrène la République dominicaine, le rapport de la Banque mondiale rappelle le scandale de Baninter, l'une des principales banques commerciales.

Sa faillite frauduleuse, en 2008, a coûté l'équivalent de 16 % du PNB et fait plonger 1,5 million de Dominicains (16 % de la population) dans la pauvreté. A ce jour, aucun des responsables de ce désastre n'est en prison ni n'a été condamné. Les criminels en col blanc exhibent sans pudeur leurs hélicoptères et leurs villas somptueuses, tandis qu'un pauvre bougre a passé des années en prison préventive pour le vol d'une poule. "La criminalité et la violence constituent un problème de développement", souligne Caroline Anstey, la responsable des Caraïbes à la Banque mondiale. Selon l'organisme international, une baisse d'un tiers des taux d'homicide permettrait de doubler le taux de croissance par habitant dans la région. Si Haïti et la Jamaïque parvenaient à réduire leur taux d'homicide au niveau du Costa Rica, leur revenu par habitant augmenterait de 5,4 % par an. Pour la République dominicaine, le gain serait de 1,8 %.

Pertes humaines et matérielles, soins, justice, police, prisons, augmentation des dépenses privées de sécurité : dans tous les pays, les coûts de la criminalité ne cessent d'augmenter. La violence éloigne les investisseurs et renchérit les coûts des entreprises, qui doivent financer leur sécurité ou payer des racketteurs, parfois en uniforme. Principal secteur d'activité régional, le tourisme n'a jusqu'à présent que peu souffert de cette inquiétante montée de la criminalité. En Jamaïque ou en République dominicaine, les hôteliers ont constitué des enclaves où les touristes sont isolés des populations locales. Mais ces resorts protégés par des gardiens armés et appartenant le plus souvent à des chaînes étrangères contribuent peu à l'économie locale. Et donc à la lutte contre la pauvreté, qui pourrait freiner la montée de la violence.

Jean-Michel Caroit : LE MONDE