Esclavage:Le Châtiment des quatre piquets dans les colonies

Esclavage: Le Châtiment des quatre piquets dans les colonies

Marcel Verdier ne demandait pas mieux que d’exposer son tableau au Salon du Louvre en 1843, mais le jury en décida autrement. Une peinture qui dénonce un peu trop ouvertement la pratique de l’esclavage courante dans les colonies de la jeune République française, risquait, selon les experts de l’époque, « d’attiser la haine populaire contre nos malheureuses colonies ».

 

© The Menil Collection, Houston


All men are created equal - tous les hommes naissent égaux. Cette phrase de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis rédigée en 1776, est de Thomas Jefferson. Le troisième président des Etats-Unis n’ignorait pas que cette affirmation était en contradiction avec la pratique de l’esclavage. Un détail qui ne l’empêchait pas d’avoir recours au travail de nombreux esclaves sur ses propres plantations. Certes, le Siècle des Lumières ne manqua pas de se poser des questions sur la légitimité de l’esclavage, mais les premiers pas pour l’abolir manquaient curieusement de conviction. En 1807, la couronne britannique interdit la traite négrière, mais pas la possession d’esclaves. A la suite de la Révolution française, l’esclavage fut aboli en 1794 dans les colonies françaises, pour être réintroduit dès 1802. Ce n’est qu’en 1817 que la France suivit l’exemple de l’Angleterre en interdisant le trafic d’esclaves dans les colonies. Avec des conséquences parfois dramatiques. Il arrivait ainsi que les capitaines de navires négriers arraisonnés jettent leur cargaison humaine par-dessus bord pour échapper à une sanction.

L’esclave - un meuble aux yeux de son maître
C’est en Grande-Bretagne que le mouvement abolitionniste est le plus virulent. Sous la pression des abolitionnistes, le parlement britannique décrète le 1ier août 1834 : « Ainsi, nous mettons fin à tout jamais à l’esclavage (...). Cette pratique est déclarée illégale dans l’ensemble des colonies, possessions et plantations britanniques. » La France, elle, n’en est pas encore là. Dans les territoires français d’outre-Mer, les esclaves sont toujours considérés comme des meubles. Parmi ceux qui tentent alors d’attirer l’attention de la population française en Métropole sur l’injustice de l’esclavage, figure le peintre Marcel Verdier (1817-1856), un élève de Jean Auguste Dominique Ingres considéré de son vivant comme un des plus grands peintres français de son époque. Tandis que son maître se consacre aux figures héroïques de l’histoire française ou de la mythologie, Verdier dénonce avec sa peinture une pratique inhumaine dans les lointaines Caraïbes. Une démarche pas tout à fait désintéressée. Le peintre escomptait ainsi une renommée rapide grâce à ce coup d’audace.


© The Menil Collection, Houston

Une punition cruelle pour avoir cherché la liberté
Le tableau « Châtiment des quatre piquets dans les colonies » illustre une punition couramment infligée aux fugitifs rattrapés par leurs maîtres. L’esclave était étendu nu à même le sol, bras et jambes écartés en croix et liés à quatre piquets enfoncés dans le sol. Scène très répandue à l'époque et rendue ici fidèlement par Verdier : Ce n'est pas directement le maître qui abbat son fouet sur son esclave, mais un gardien - noir lui aussi ; le malheureux tentant d’échapper à la souffrance imminente, par une torsion désespérée du corps.


Un châtiment infligée sous le regard de la famille
L’effet considérable de la peinture de Verdier s’explique en partie par cette illustration brutale du châtiment des quatre piquets. Il voulait dénoncer les pratiques inhumaines en vigueur dans les colonies et appeler les citoyens parisiens à ouvrir les yeux sur cette injustice. Mais plus frappante encore est la présence de la famille du propriétaire de l’esclave, représentée sur la gauche du tableau. Le planteur, adossé à une cabane, un cigare dans la main droite, contemple la scène d’un regard vaguement ennuyé, suggérant le caractère presque banal du châtiment à ses yeux.

© The Menil Collection, Houston
Un des aspects les plus choquants peut-être du tableau est la présence, à la gauche du planteur, de sa femme qui assiste, d’un air inquiet, à la punition. Dans ses bras, elle tient sa petite fille qui devient ainsi un témoin privilégié du châtiment. L’enfant se blottit dans les bras de sa mère tandis qu’une esclave accroupie devant elles, lève un regard interrogateur vers ses deux maîtresses. Sa question muette se fait l’écho de celle qui s’impose au spectateur : pourquoi le planteur impose-t-il cela à sa famille ? La réponse est simple : l’enfant doit s’habituer le plus tôt possible à son rôle. La petite fille blanche doit apprendre que châtier un esclave est un geste parfaitement normal et que l’esclavage n’est qu’une forme d’élevage de bétail comme une
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autre. Une lecture confirmée par la représentation d’un enfant esclave dans le coin inférieur gauche du tableau. L’enfant joue avec les chaînes qui entravaient quelques instants plus tôt l’homme châtié, tandis qu’un chien renifle ou lèche son épaule. Verdier place l’animal et l’enfant sur un même plan, reproduisant ainsi la position qu’ils occupent aux yeux du planteur.


© The Menil Collection, Houston


Le centre du tableau montre que le châtiment n’est nullement une pratique exceptionnelle, mais un rituel courant. Tandis que la première victime souffre encore sous le fouet, le prochain malheureux est déjà conduit vers les piquets. Entravé par des chaînes et un collier en fer, il jette un regard apeuré sur le gardien noir chargé d’exécuter la sentence. Une esclave, les yeux baissés, se tient à ses côtés pour le soutenir en ce moment difficile.

Un tableau abolitionniste dans un grand magasin parisien
Après avoir trouvé porte close au Salon du Louvre, Marcel Verdier a cherché d’autres moyens pour montrer son tableau au public. Un grand magasin parisien, le Bonne Nouvelle, lui ouvre alors ses portes. Précurseur des grands magasins de la fin du XIXième siècle, le Bonne Nouvelle vendait surtout des articles ménagers et des aliments. Mais le bâtiment comptait aussi un café, un théâtre et, plus important encore, une galerie d’art très visitée. Pour attirer l’attention des foules, le Bonne Nouvelle était même un lieu d’exposition plus indiqué que le Salon du Louvre. Il fallut pourtant attendre cinq ans encore, jusqu’en 1848, pour obtenir l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.

Une datation controversée
La date figurant sur le tableau est à l’origine d’une certaine confusion dans le milieu de l’art. Marcel Verdier a daté son œuvre de 1849,
© The Menil Collection, Houston
alors que le tableau a été réalisé en 1843, l’année de son exposition dans la galerie du Bonne Nouvelle. Les experts avancent deux explications possibles : Verdier a lui-même daté le tableau en choisissant de situer son œuvre après l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Le tableau ne serait du coup plus un manifeste abolitionniste, mais un plaidoyer contre le maintien de l’esclavage dans d’autres régions du monde. Une deuxième hypothèse, plus probable, serait que Marcel Verdier a reproduit, en 1849 justement, la scène d’origine sur un tableau grand format. Cette œuvre plus tardive serait aussi la seule à être passée à la postérité.

L’esclavage aujourd’hui
Il serait naïf de croire que la pratique de l’esclavage appartient définitivement au passé. A l’heure actuelle, près de 27 millions de personnes sont exploitées dans des conditions proches de l’esclavage. C’est le cas en Inde, en Afrique du Nord ou encore dans l’Ouest de l’Afrique. En Europe, des milliers d’ « esclaves domestiques » sont exploités, battus et humiliés quotidiennement. Dans des bordels occidentaux, des femmes d’Afrique et d’Europe de l’Est sont contraintes à se prostituer. Le tableau de Marcel Verdier est aussi un réquisitoire contre cette autre forme d’esclavage.

Uwe A. Oster

 

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