Pie XII : le pape qui avait peur du Noir
Pie XII : le pape qui avait peur du Noir
Pour une surprise c’en est une ! Le pape Benoit XVI a donc, contre toute attente, signé le décret sur les "vertus héroïques" de Pie XII, ultime étape avant la béatification de ce dernier. Une surprise car son prédécesseur reste contesté pour son silence pendant la Shoah, mais aussi pour ses préjugés racistes comme l’a révélé le livre de Serge Bilé et Audifac Ignace, « Et si Dieu n’aimait pas les Noirs : Enquête sur le racisme aujourd’hui au Vatican ».
Des préjugés qu’il manifeste notamment le 26 janvier 1944, deux mois après le début de la campagne d’Italie. Alors que les armées américaines, françaises et britanniques, font route vers Rome, le pape Pie XII dépêche son Secrétaire d’état, le cardinal Luigi Maglione, auprès de l’ambassadeur de Grande Bretagne, près le Saint-Siège, sir Francis Godolphin d’Arcy Osborne, pour lui présenter une étonnante requête. Sir d’Arcy Osborne transmet aussitôt, par télégramme, la demande du Saint-Père au commandement des forces alliées : « Le pape espère qu’il n’y aura pas de soldats de couleur au sein des troupes alliées qui seront déployées à Rome après la libération ».
Et le diplomate d’ajouter cette précision grinçante, qui montre à quel point il a été, lui-même, estomaqué par cette exigence : Maglione « s’est empressé de souligner que le Saint-Siège ne fixe pas de limite dans le degré des couleurs, mais espère que sa demande sera prise en compte ».
Quand arrive le télégramme, l’état major allié est à la fois surpris et embarrassé, d’autant que la requête du souverain pontife vise, non seulement les soldats afro antillais et noirs-américains, mais aussi algériens et marocains, c'est-à-dire une grosse partie des troupes engagées dans la reconquête de la ville éternelle, alors aux mains des nazis. Mais très vite, la décision est prise de ne rien changer au programme, au grand dam du Saint-Père.
Consigné dans les archives du Foreign Office, le télégramme de sir d’Arcy Osborne a longtemps été ignoré, avant d’être exhumé récemment, suscitant des débats publics en Italie et aux états-Unis. En mars 2000, dans la célèbre émission Sixty Minutes, le père Gumpel, « postulateur » (avocat à charge et décharge) du dossier de béatification de Pie XII, prend sans retenue la défense de Pie XII et justifie sa requête par le fait qu’il avait été informé de nombreux cas de viols commis par des G.I.’s afro-américains sur
des femmes italiennes. Sept ans plus tard, lorsque la presse transalpine fait état, à son tour, du télégramme de sir d’Arcy Osborne, le quotidien conservateur Il Giornale vole au secours du pape, en expliquant également que Pie XII n’était pas raciste,
mais qu’il n’avait fait, en la circonstance, qu’appliquer le sacro-saint principe de précaution.
Et de rappeler, qu’avant de devenir pape, Eugenio Pacelli fut nonce apostolique en Allemagne, où l’on prêta quantité de vols, de viols, et de meurtres aux « coloniaux » de l’armée française, durant l’occupation de la Rhénanie, après la Première Guerre mondiale. Pie XII voulait donc, en agissant ainsi, éviter que ces mêmes faits ne se reproduisent, à grande échelle, sur le sol italien.
Les arguments des défenseurs de Pie XII seraient recevables, tant ces crimes sont inacceptables, s’il n’y avait cette évidence. Les « soldats de couleur » n’ont pas été les seuls à perpétrer des atrocités – d’ailleurs largement exagérées à des fins de propagande – pendant la Seconde Guerre mondiale. Leurs frères d’armes blancs en ont fait de même. Alors, pourquoi, de la part surtout d’un pape, diaboliser les uns et absoudre les autres ?
Quand il était nonce apostolique en Allemagne, Eugenio Pacelli, le futur Pie XII, s’était déjà distingué, en s’associant à la campagne internationale de dénigrement, orchestrée par les nazis, contre les soldats noirs de l’armée française, stationnés dans leur pays, qu’ils accusaient de répandre la syphilis.
Une opération, là encore, de pure propagande, sans véritable fondement, mais qui exprimait, en réalité, la rage de l’opinion allemande de voir des « sous hommes » fréquenter des femmes aryennes, et des « bâtards » naître de ces unions « indignes et contre nature ».
La ligue féminine de Rhénanie dénoncera, pour sa part, l’ouverture, par l’état-major français, de maisons closes, où des filles sont outrageusement souillées par des « indigènes ». Un affront pour les femmes blanches, fussent-elles des prostituées, livrées ainsi à la bestialité des soldats noirs !
Eugenio Pacelli appuie leur protestation et l’adresse au Vatican dans le flot de rapports qu’il envoie régulièrement pour supplier Pie XI, le pape d’alors, d’agir au plus vite, afin de sensibiliser le monde à cette « honte noire », et d’obtenir des autorités parisiennes « le retrait des troupes françaises de couleur ».
C’est le même scénario qui se reproduit à la libération de Rome, en juin 1944. Les soldats noirs qui, malgré la requête de Pie XII, occupent la capitale italienne, font, eux aussi, l’objet de protestations de l’ancien cardinal devenu pontife. Non pas pour avoir prétendument violé de pauvres femmes italiennes ou allemandes sans défense, mais parce qu’ils fréquentent assidument un… bordel, situé au 186 via Babuino.
Pie XII, qui trouve la chose « offensante pour la morale », obtient la fermeture de l’établissement, mais ne trouve, en revanche, rien à redire sur les activités des autres maisons closes, assiégées par les soldats italiens, américains et européens.
Est-ce pour se racheter ? Quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Pie XII fustige le racisme… américain, allant même jusqu’à relever de ses fonctions un prêtre d’une paroisse d’Indianapolis, coupable d’avoir déclaré publiquement qu’« aucun Noir ne pourrait jamais atteindre la sainteté ». Trop tard !
Serge Bilé et Audifac Ignace
Ps : ci-dessous, le télégramme que l’ambassadeur de Grande Bretagne, près le aint-Siège, sir Francis Godolphin d’Arcy Osborne, a envoyé, à la demande du pape Pie XII, au commandement des forces alliées le 26 janvier 1944. Traduction : « Le pape espère qu’il n’y aura pas de soldats de couleur au sein des troupes alliées qui seront déployées à Rome après la libération ».