Zoos Humains : des êtres humains exhibés dans une cage!

Zoos Humains
des êtres humains exhibés dans une cage !

 Etymologiquement le terme de "zoo "provient du grec zôon qui signifie être vivant. Donc le mot " zoo" représente les animaux, les plantes et aussi les hommes. L’Occident emprisonne les plantes sous la forme de jardins zoologiques, les animaux sous la forme de parcs zoologiques et les êtres humains sous la forme de zoos humains. Dans tous les cas c’est le même dispositif on cloisonne des êtres vivants. On peut mentionner que le terme de zoos humains est incorrect, c’est un pléonasme puisque "zoo" signifie être vivant or un humain est un être vivant. Cependant nous utiliserons parfois volontairement l’expression de « zoos humains » dans ce site car c’est l’expression la plus connue à l'heure actuelle pour décrire ce phénomène pour l’instant.  Au XIX ième siècle, la grande majorité des Occidentaux ont leurs premiers contacts avec les populations non-européennes à travers une grille, une barrière, un enclos. Le but est de placer les êtres humains exhibés au même niveau que les animaux. Ils sont présentés comme des « pensionnaires » du parc zoologique, c'est-à-dire qu’on ne les perçoit pas comme des êtres humains mais bien comme des êtres vivants qui font partie du cheptel du zoo. Sur les panneaux d’informations des cages, on indique le lieu où ils vivent, le climat, leur nourriture en rappelant aux visiteurs de « Ne pas nourrir les indigènes ils sont nourris ». Dès 1874 en Allemagne les exhibitions d’êtres humains ont lieu au zoo d’Hambourg dirigé par Hagenbeck. En France, les exhibitions d’êtres humains se déroulent au jardin d’acclimatation de Paris de 1877 jusqu’en 1931 sous le nom feutré d’« expositions ethnographiques ».

La symbolique du Zoo

Initialement le zoo est un espace où l’on rassemble des êtres vivants en particulier des animaux dans un milieu artificiel ou dans un espace confiné. Les animaux sont arrachés de leur milieu naturel puis ils sont mis en captivité, enfermés dans un espace restreint. De par son essence, le zoo engendre une vision irréaliste, réductrice et dégradée de l’être vivant enfermé. Dans un zoo, les visiteurs sont séparés des animaux par des grilles, des enclos et des barrières pour sécuriser le public. C’est un lieu où la nature est sous contrôle, elle est dominée puisqu’elle est cloisonnée. Dans cet espace compartimenté, le public ressent un sentiment de supériorité sur la nature captive où peut s’affirmer sa volonté et sa satisfaction de vaincre le sauvage. La séparation physique (le grillage) entre le public et l’animal incarne la frontière entre la sauvagerie et la civilisation. Le zoo devient le symbole le plus explicite de la victoire de la culture sur la nature, du civilisé sur le sauvage. À travers les zoos humains, l’Occident consolide son sentiment de dominer la nature et tous les êtres vivants. En effet pour l’Europe la supériorité de l’homme blanc est indéniable, garant des valeurs de la civilisation, les autres hommes représentent des degrés de primitivisme, des étapes du développement de l’espèce humaine, des êtres vivants fixés dans un état naturel de sauvagerie. L’humanité non européenne est reléguée au rang d’animal sauvage. Pour l’Occident, les peuples non-blancs représentent la nature sauvage en voie de domestication, c’est la sauvagerie en voie de civilisation.  Cette croyance occidentale  génère un sentiment de supériorité vis-à-vis des peuples non-européens. Leur exhibition permet de créer une frontière irréductible entre les deux humanités l’une qui se croit supérieure parce qu’elle est blanche et l’autre de facto inférieure parce qu’elle est non-blanche. Considérés comme des animaux, les exhibés sont déshumanisés. Ce dogme de la supériorité des peuples leucodermes sur les autres peuples permet d'aboutir à toutes les dérives possibles.

Exhiber des êtres humains : un scandale morale

Pour l’Occident les zoos humains ont pour but de consolider durablement une barrière qu’elle souhaite infranchissable entre elle et le reste de l’humanité. Dans le processus d’exhibition il y a toujours un rapport de force, celui qui exhibe, celui qui regarde (en l'occurrence le peuple vainqueur) et celui qui est regardé, celui qui est exhibé (en l'occurrence le peuple vaincu). Ce dernier est perçu comme une chose vivante, un « être étrange »1, une « bizarrerie humaine»2 qui doit être civilisé, c’est tout sauf un être humain à part entière.  Exhiber un être humain génère un processus de chosification de l’homme. L'être humain n' est plus sujet c’est un objet. L’homme déshumanisé devient inexorablement une chose.  Voilà le fond du problème qui est totalement éludé dans tous les ouvrages qui traitent du phénomène des « Zoos humains ». La plupart du temps leurs auteurs tentent de justifier les zoos humains en laissant croire que c’est un phénomène spontané suscité par le contexte colonial. Certains auteurs vont jusqu’à qualifier le comportement général du public de l’époque d’être « trop stupide »3, ils parlent de la « stupidité des foules »4. Mais comment le comportement de la masse européenne aurait pu être différent alors qu‘elle est elle-même éduquée à intégrer cette vision raciste du monde qui fait partie de sa propre culture. Comment peut on prétendre que l'Europe fait preuve de stupidité alors que la classe dirigeante des pays occidentaux assiste en grande pompe à ces exhibitions? Dès le XV ième siècle, l'élite occidentale procède à l'exhibition de négrillons au sein de sa cour comme elle le fera par la suite avec les amérindiens emmenés d'Amérique. Le président de la République Sadi Carnot assiste lui même à l'exhibition des Amazones du Dahomey en 1891. Pour l'exposition universelle de 1889, c'est le gouvernement de Carnot qui assure le recrutement et la sélection des exhibés. Doit on comprendre que la classe politique elle-même fait preuve de stupidité? Restons sérieux. En vérité le concept de Zoos humains " est un phénomène culturel occidental qui a débuté depuis l’antiquité et s'est transmis jusqu’à aujourd’hui. On peut comprendre l’embarras que peut causer cette page honteuse et immorale de l'histoire en revanche il est temps de regarder les choses en face pour tirer les leçons du passé. Exhiber des hommes c'est les déshumaniser. L’homme exhibé est implacablement dépouillé de sa dignité humaine consciemment ou inconsciemment. L’humain ne reconnaît plus en l’autre un humain mais une chose. Il faut souligner le côté déstructurant et destructeur de ces exhibitions. La chosification de l’autre est mortifère. Pour les exhibés, ce n’est pas une destruction physique au sens propre du terme mais c’est bien une destruction symbolique. Les exhibés sont réduits à une image où ils représentent la sauvagerie, le primitivisme, l’infériorité. Ils sont instrumentalisés idéologiquement pour construire une image fortement erronée de la réalité. Pour les Européens, les exhibés sont perçus à travers cette fausse image préfabriquée : « Ils ne perçoivent qu'une image de celui-ci, l'image dont les contours sont obligatoirement déformés parce l'intention à l'origine de l'exhibition, la mise en scène, les décors, la composition des individus de la troupe ou du village ne sont qu'une réalité fabriquée de toutes pièces »[5]. L’Occident ne perçoit plus l’homme non-blanc comme il est réellement mais comme il voudrait qu'il soit :«Le public veut des bêtes curieuses, sauvages, féroces, bien différentes des espèces européennes, pour se dépayser et rêver aux contrées lointaines»[6].  C’est pourquoi toutes les exhibitions ont souvent eu lieu dans des endroits où sont généralement présentés des animaux pour rabaisser tous les exhibés au rang de sous-hommes.

Les exhibitions qui se déroulent dans les zoos sont cautionnées par les pseudo-scientifiques de l’époque : les anthropologues. Ils s’efforcent de valider une hiérarchisation des hommes totalement infondée. L’objectif fixé par l’anthropologie est de hiérarchiser arbitrairement les peuples non-européens afin de légitimer la suprématie blanche sur le reste du monde. Toutes les descriptions anthropologiques établies par ces pseudo-scientifiques n’ont strictement aucun sens. Par exemple pour l’Afrique du sud, elle a créée trois races:

- les Boschimans :  «la race du sol», «les hommes des bois, les sauvages par excellence»,

- les Cafres : «ce sont des nègres typiques» (Les autres ne sont ils pas eux aussi des Nègres ?!), selon la croyance de l’époque,  une race venue après les Boschimans .

- les Hottentots qui représentent : « tout ce qui n’est pas notoirement Cafre ou Boschiman ». D’ailleurs il est édifiant de citer la confuse conclusion de Paul Topinard, éminent anthropologue de son temps au sujet des dits «Hottentots» qu’il a vu au Jardin : « Les Hottentos du Jardin d’acclimatation sont la démonstration vivante qu’il n’y a pas de race de ce nom, pas de type de ce nom, mais que les Hottentots sont une race métisse de Cafre et de Boschiman, avec prédominance de Boschiman »[7]. Voilà comment les scientifiques font de la science au XIX ième siècle. La hiérarchisation des races est incohérente puisque la race n’a aucun fondement biologique, c’est uniquement un concept social. On peut facilement imaginer toutes les fantaisies et incohérences d’une "science" dont l’hypothèse de travail fondatrice est entièrement fausse. Évidemment les publications de ces scientifiques nous apparaissent absurdes aujourd’hui en revanche il est judicieux d'analyser le contenu de cette "science" afin que l'internaute se rende compte par lui-même du caractère anti-scientifique de l’anthropologie parfois appelée aussi ethnographie telle qu’elle a été élaborée au XIX ième siècle. Notre démarche n’est en rien ironique bien au contraire, nous décrivons objectivement les faits pour que chacun puisse se faire sa propre opinion. En fait à quoi servent véritablement ces exhibitions ? L’aspect scientifique est une supercherie, on ne peut plus continuer à avancer ce prétexte fallacieux. Au XIX ième siècle les intellectuels occidentaux s’interrogent eux-mêmes sur cette pseudo science qui repose sur une néfaste idéologie. Selon Fulbert Dumonteil « Il n’est guère de science plus à ma mode que l’ethnographie : N’a-t-elle pas aujourd’hui ses annales et ses revues, ses livres de voyage, ses musées, ses instructives et curieuses exhibitions au Jardin Zoologique d’Acclimatation, attraction du public, étude de savants ? » [8]. Attraction du public ou étude de savants ? La question est déjà posée au XIX ième siècle. Les ouvrages modernes sur le sujet ont pour besogne d’y répondre et ils s’échinent à expliquer que ces exhibitions représentent simultanément des intérêts communs, ludique pour le peuple et instructif pour les scientifiques or il n’en est rien. Quand, comment et pourquoi l'anthropologie a-t-elle été créée. Paul Broca déclare que « l'anthropologie est de toutes les branches des sciences naturelles celle qui s'est développée la dernière » [9].

L'anthropologie prend son essor en France au XIX ième siècle à la suite de la fondation de la société d'anthropologie de Paris en 1859. Elle avait été inaugurée auparavant par Buffon en 1749 mais elle est restée entre les mains d'un cercle restreint d'acteurs. Elle commence réellement à se développer en 1859 (une dizaine d'années après l'abolition de l'esclavage). Auparavant l 'Occident n'avait pas besoin de cette "science" et pour cause les Africains n'avaient pas de "réalité humaine juridique", ils étaient considérés légalement comme des biens meubles (cf code noir de Colbert). Suite à l'abolition de l'esclavage, l'exploitation de l'homme par l'homme se poursuit avec la colonisation. Afin de légitimer sa domination sur l'Afrique, l'Europe crée l'anthropologie qui a pour mission de prouver que les Africains sont une race inférieure que l'Occident se doit de les civiliser. L'émergence et le contexte dans lequel a été développée l'anthropologie, les incohérences, les approximations, les incertitudes dont font preuve les animateurs de cette pseudo science sont autant de faits objectifs qui prouvent que l’anthropologie n’est en rien une science mais une propagande idéologique recouverte du manteau de la science qui a pour but de démontrer que l’européen est intellectuellement supérieur aux autres hommes et que par voie de conséquence cela lui donne le droit de s’approprier les ressources d’autrui. Dans le paradigme occidental, nous l’avons déjà prouvé dans la section " Ses origines" du site, l’homme a toujours été déshumanisé, dépouillé de sa dignité humaine, il est souvent relégué au rang d’animal ou d’objet, c’est un fait culturel historique indéniable. Le processus de chosification de l’autre est un procédé courant en Occident, il remonte à la plus haute antiquité. Considérer un homme comme un objet ou un animal est un scandale moral peu importe l’époque historique. Notre démarche est de comprendre les mécanismes de ce phénomène et non de les juger. Le processus de déshumanisation de l'homme est un phénomène culturel européen qui est loin d’avoir disparu, il est toujours à l'oeuvre en Occident, vous pouvez vous en convaincre dans la section "Sa continuité " du site. À la fin du XIX ième siècle, l’Occident accentue sa vision de l’homme, sa perception de l’être humain et crée une profonde rupture entre l'homme blanc et le non-blanc à travers les « zoos humains ». La dégradation de l’homme est violente si bien qu’il est explicitement considéré comme un animal. Pour l'Europe, la scission est claire : «L’Autre ne sera jamais nous »10. L’Occident décide de se séparer du reste de l’humanité, cette navrante idéologie a laissé de graves séquelles jusqu’à aujourd’hui. Il est regrettable que les auteurs des ouvrages sur le sujet n’ont pas le courage intellectuel d'admettre que l'anthropologie du XIX ième siècle est non une science mais une campagne de propagande pour légitimer l'exploitation de l'homme par l'homme. Ils persistent à clamer que les savants ont construit une hiérarchie des races qu’ils cautionnent par conformisme et qu’ils n’ont fait que valider un racisme sans même s’en rendre compte11. Les scientifiques de l’époque savent pertinemment ce qu’ils disent, au contraire ce sont les personnes les mieux placées pour infirmer le dogme de l’infériorité naturelle des peuples non blancs. De notre point de vue ces hommes dit de sciences étaient des idéologues, ils savent tous consciemment qu’il n’y a aucune différence intellectuelle entre l’homme non blanc et l’européen. Ceux qui continuent de défendre l’attitude de ces scientifiques en prétextant qu’ils ignoraient qu’ils cautionnaient le racisme, qu’ils étaient de bonne foi 12 sont alors contraint d’admettre l’incompétence manifeste de ces scientifiques. En effet déjà au XIX ième siècle, tous les travaux, les mesures anthropométriques prouvent qu'il est scientifiquement impossible d'échafauder une hiérarchisation des races. Si ces pseudo-scientifiques se sont enferrés "de bonne foi " dans l'erreur alors il faut admettre que ce ne sont qu'une équipe d’imbéciles qui s’amusent dans leurs laboratoires avec des êtres humains et se divertissent dans les zoos européens tout comme le public. En vérité ces pseudo-scientifiques ont accepté de continuer à diffuser le mensonge : ils ont sciemment décider de faire de l’idéologie, de la propagande et non plus de la science. Il est temps de dénoncer ces faux scientifiques qui ont outragé la véritable science et ont consolidé le racisme. Étant donné que l'armée des 53 auteurs modernes qui ont rédigé l'ouvrage médiatique "Zoos humains" n'ont à aucun moment condamné l'idéologie mise en place par les hommes de sciences de l'époque, il est légitime de se poser la question suivante : ne poursuivent-ils pas eux-même la propagande idéologique des pseudo-scientifiques du XIX ième siècle ?

Sources :
[1] Girard de Rialle, Les Nubiens du Jardin d'acclimatation, Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, Paris, Masson, 1877.
[2] Op. cit.
[3] Association Images & Mémoires, "Villages Noirs" et visiteurs africains et malgaches en France et En Europe, Paris, Kharthala, 2001, p24.
[4] Op. cit., p40.
[5] Patrick Minder, "La construction du colonisé dans une métropole sans empire: le cas de la suisse", Zoos Humains, Paris, La Découverte, 2004, p231.
[6] Éric Baratay, "Le frisson sauvage : les zoos comme mise en scène de la curiosité", Zoos Humains, La Découverte, Paris, 2004, p31.
[7] Paul Topinard, Les Boshimans à Paris, Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, Paris, Masson,1887.
[8] Fulbert-Dumontheil, Guerriers et guerrières du Dahomey au jardin zoologique d’acclimatation, Paris, février 1891. 
[9] Paul Broca, dans la préface de l' "anthropologie" de Paul Topinard, Paris, C. Reinwald et Cie, 1895.
[10] Zoos Humains, La Découverte, Paris, 2004, p16.
[11] Op. cit., p12.
[12] Op. cit., p126.

 


 

Zoos occidentaux : espace de déshumanisation

Dès 1845, Jozef Moller, un Africain de 10 ans dénommé « Jefke of den Zoologië » est exhibé dans le zoo de la ville d'Anvers. Offert par le capitaine Louis Meyer à la Société royale d'Anvers, le "négrillon" est cloîtré dans l'enceine du zoo, il n'est pas autorisé à quitter le périmètre qui lui a été laissé.

  Au zoo de Francfort, des aborigènes du Queensland sont exhibés en mai 1885. Dénommés les Austral Neger, ils sont perçus comme des cannibales, des « wirklich blutdürstige Ungeheuer » c'est à dire de "véritables monstres assoiffés de sang".

  En 1891, des Amazones provenant du Dahomey sont exhibées au Jardin zoologique de Berlin puis au zoo de Francfort.

  En Belgique, la société royale de géographie importe douze congolais dont cinq hommes, cinq femmes et quatre enfants pour les exhiber au public belge. Ils arrivent le 12 mai 1885 et sont affublés de costumes de clown afin de mieux les ridiculiser et les humilier. Neuf ans plus tard, ce sont cent quatorze Congolais qui sont exposés à Anvers en pleine ville devant le musée des beaux-Arts.

  À Madrid en 1900, ce sont trente Inuits, hommes, femmes et enfants, provenant de la péninsule du Labrador (Canada) qui sont exhibés dans les jardins madrilènes du Buen Retiro à la vue de tout le monde.

En 1909, des Touaregs sont exhibés au boulevard de Clichy à Paris.

   Aux Etats-Unis en 1906, un Africain Ota Benga, un « pygmée » provenant de l’ancienne colonie belge du Congo, est exhibé par la société Zoologique du Bronx de New York pendant deux semaines. Il est exposé sous un panneau indiquant sa taille et son poids dans une cage avec un orang-outang comme camarade de cellule. Ensuite il est exhibé à la foire internationale de Saint Louis dans l’état du Missouri où chaque jour pas moins de 40000 spectateurs se déplaçaient pour l’observer. La vie de Ota Benga est inhumaine, exposé comme un animal, les visiteurs le perçoivent comme une bête. Il est harcelé par le public à tel enseigne qu’il met fin à son calvaire en se suicidant en 1916.

Cas du Jardin d’acclimatation du Bois de Boulogne : véritable « Zoo humain ».

  De 1877 à 1931 (et même après), le Jardin zoologique d'acclimatation de Paris devient le sanctuaire de la déshumanisation en France. L'Occident ne cesse d'y exhiber des êtres humains comme des bêtes de foire pour le plaisir et le divertissement de la masse européenne.

• Au mois d’août 1877, des Nubiens sont exhibés au jardin d’acclimatation de Paris. Pour la plupart des Européens ce ne sont pas des hommes ce sont des « êtres étranges »1. Ce groupe de quatorze êtres humains est montré, palpé, mesuré, dénudé comme des animaux selon les exigences de l’Occident : « La peau est relativement d’un beau bronze rouge très douce et très fraîche au toucher ; les dents sont superbes. » [2].

• L’hiver de 1877, c’est une famille d’Inuits appelés péjorativement par les Occidentaux les Esquimaux (qui signifie "mangueur de viande cru") qui est exhibée au zoo du bois de Boulogne, deux jeunes garçons puis un couple avec ses deux filles de quatre et un an.
Après les Nubiens et les Esquimaux, ce sont les Lapons qui sont exhibés au jardin d’acclimatation en hiver 1878 pendant trois mois.
• En 1879, c’est la nouvelle exhibition des Nubiens au Zoo de Paris.
• Ce sont onze habitants de la Terre de Feu, en 1881 quatre hommes, quatre femmes et trois enfants, ils sont appelés les Fuégiens (nom attribué par le capitaine Weddel en 1822 ) : « la foule …se presse aux grilles comme devant des animaux extraordinaires. »[3].  Dans la rédaction des articles de l’époque, les peuples sont considérés comme des animaux : « Tout le monde a entendu parler des sauvages qui sont actuellement pensionnaires du Jardin zoologique d’Acclimatation du Bois de Boulogne »[4].
• Les Galibis appelés les amérindiens Kalina (peuple originaire de Guyane et du Surinam) sont exhibés en 1882. Près de 400000 européens assistent à cette exhibition.
• En 1883 on exhibe quatre groupes humains la même année au Jardin.
- En juin ce sont les Cinghalais (Ceylanais) peuple indien qui sont exhibés avec des éléphants. On représente treize hommes de 16 à 55 ans, cinq femmes de 20 à 40 ans et trois enfants de deux mois et demi à sept ans. Comme en Allemagne avec Hagenbeck, la France procède à l’exhibition collective d’êtres humains avec des animaux.
- Ensuite deux familles d’indiens Araucans emmenés des Andes (Amérique du Sud).
- En août ce sont les Kalmouks de Sibérie.
- En octobre ce sont les peaux Rouges, quinze Amérindiens du Nebraska (Amérique du Nord) qu’on emmène au zoo : « la physionomie est grave, impassible d’ordinaire, mais devient féroce sous l’influence de la passion »[5].
En une année près de 917 501 européens se sont déplacés pour voir des êtres humains exhibés dans un zoo.
• En 1886 c’est l’exhibition de nouveau des Cinghalais au jardin d’acclimatation. Déjà exhibé en 1883, on les ramène pour une nouvelle exhibition plus importante au total soixante-dix Cinghalais dont cinquante sept hommes et treize femmes avec des animaux autochtones de l’Inde : 12 éléphants, 14 zébus et d’autres animaux…Le Zoo Humain prend peu à peu une allure de cirque, une représentation met en scène des éléphants puis des numéros de charmeurs de serpent, des courses de chariots tirés par les zébus.
• En 1887 ce sont les Achantis qui sont exhibés au Jardin, douze hommes, huit femmes et jeunes filles sont montrés au public comme une « curieuse population » .
• En juillet 1888, on emmène des Khoïsans baptisés par les Occidentaux les Hottentots : six hommes, trois femmes et deux enfants sont exhibés. En fait ce sont des êtres humains qui viennent d’Afrique du Sud. Il est important de rappeler que souvent le nom par lequel ils sont désignés est souvent inventé par des savants occidentaux qui n’ont aucune véritable connaissance du groupe humain concerné. En effet le terme Hottentot n’a aucun signification en Afrique du Sud.
• En 1889, ce sont les cosaques du Kouban et les lapons de Norvège qui sont exhibés en décembre au Jardin.
• En 1890, on exhibe les Somalis au Jardin d’acclimatation : vingt-six êtres humains, hommes, femmes et enfants sont assujettis au regard du public : « une exhibition ethnographique des plus curieuses »6 selon le prince Roland Bonaparte.
• Au printemps 1891, cinquante Amazones du Dahomey à Paris sont exhibées au Jardin d'acclimatation de Paris qui reçoit 959 430 visiteurs dont le président de la République Sadi Carnot .
• En 1892, les amérindiens Kalina ou Galibis sont de nouveau exhibés.
• En 1902, ce sont les Indiens du Sud appelés les Malabares qui sont exhibés au Jardin, devenus les acrobates de l'empire français.
Malabare : nom donné aux habitants du Malabar, région du Sud Ouest du Decan. Pendant la colonisation nom générique désignant tous les Indiens du Sud.
• On exhibe le peuple Achanti en 1903. Après la défaite militaire du peuple Achanti contre le les Anglais, ils sont exhibés en Europe tout comme du temps des Romains où on humilie les vaincus en les faisant parader.
• En 1906, une centaine d'Hindous provenant du Sud de l'Inde sont de nouveau exhibés au Bois de Boulogne.
• En 1931, les Canaques (peuple de la nouvelle Calédonie) sont exhibés au Jardin d’acclimatation. Considérés par l’Occident comme des sauvages anthropophages polygames, ils sont isolés dans une partie du zoo, et il faut payer un supplément pour y avoir accès. Le visiteur a droit à un prospectus d’information spéciale sur le cannibalisme.
 

Sources :

[1] Girard de Rialle, Les Nubiens du Jardin d'acclimatation, Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, Paris, Masson, 1877.
[2] Op. Cit.
[3] Paul Juillerat, Les Fuegiens du Jardin d'acclimatation, Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, Paris, Masson, 1881.
[4] Op. Cit.
[5] Girard de Rialle, Les Peaux Rouges du Jardin d'acclimatation de Paris, Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, Paris, Masson, 1883.
[6] Prince Roland Bonaparte, Les Somalis du Jardin d'acclimatation de Paris, Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, Paris, Masson, 1890.

 


 

Naissance du concept de Zoos humains

Dans les faubourgs d’Hambourg en Allemagne plus particulièrement à Saint Pauli, le peuple allemand était accoutumé à toutes sortes de magasins de curiosités, établissements de divertissement, cabarets, foires…À cette époque, le poissonnier Gottfried Clas Hagenbeck innove en proposant une exhibition de phoques en 1848. Il développe son activité comme marchands d’animaux dans les années 1860 puis il ouvre une ménagerie au public à Hambourg et organise des expositions itinérantes d’animaux. Ensuite il lègue la société à son fils Carl Hagenbeck qui poursuit l’entreprise familiale. En 1874, inspiré par l’américain Phineas Taylor  Barnum avec ses ethnics et freaks Shows, Carl Hagenbeck exhibe à son tour des êtres humains. En effet il commence avec une famille de six Lapons et une trentaine de reines dans la ménagerie Hagenbeck. Les Lapons sont exhibés à Berlin et à Leipzig. A partir de l’idée de Barnum, mise en scène d’homme doté d’une "certaine" singularité, Hagenbeck reprend l’idée et créée le concept de zoo humain. Désormais l’homme et l’animal partagent le même espace, bâti sur le même site, accessible au public. De l’exhibition individuelle on passe à l’exhibition collective d’êtres humains avec des animaux, ce sont des exhibitions dites anthropozoologiques (Antropologisch-Zoologische Ausstellungen). Le terme anthropozoologique est inapprorié puisqu’il contient des mots qui ont dans le fond le même sens, zoo qui renvoie à l’être vivant et anthropo du grec anthrôpos qui signifie l’homme qui est aussi un être vivant. Les termes employés sont souvent inappropriés pour décrire ce "phénomène", ils mettent souvent en lumière les incohérences du paradigme occidental. Après les Lapons, Hagenbeck organise ensuite l’exhibition de Nubiens en 1876 en Allemagne et en France en août 1877 au jardin zoologique d’acclimatation de Paris, avec Albert Geoffroy Saint Hilaire, directeur du jardin puis en Angleterre à l’Alexander Palace. Le commerce d’humains exhibés dans les zoos est devenu prépondérant, Hagenbeck devient un manager d’humains. Ensuite il exibe un groupe d’Esquimaux, d’Indiens et de Cinghalais, de Patagoniens et de Fuégiens, d’aborigènes australiens, de Kalmouks et de Mongols, de Bella-Coola (Indiens du Nord Ouest des Etats-Unis), des Sioux, de Samoans, des Massaïs... L’Europe ne cessera de contempler d’un regard curieux ces peuples déportés des quatre coins du monde pour sa fantaisie. Hagenbeck réalise plus de soixante-dix exhibitions entre 1874 et 1930. Tous ces "spectacles de la différence " sont réalisés dans toute l’Europe : Allemagne, France, Australie, Autriche-Hongrie, Suisse, Angleterre, Suède, Norvège, Italie, Espagne, Pays Bas, Belgique, Argentine. Pour la ville de Zurich, on comptabilise plus d’une cinquantaine de villages Noirs.

Phénomène mondialement occidentale

 

    De Chicago à Saint Pétersbourg en passant par Amsterdam, tout l'Occident affectionne ce phénomène de déshumanisation. En Amérique, les exhibitions d'êtres humains ont lieu sur tout le continent  jusqu'en Argentine :
- Chicago : 1893
- Saint Louis : 1894, 1904
- San Francisco :1894
- Buffalo : 1901
- ... (liste non exhaustive)
 
En Europe,  de nombreux zoos ont permis de déshumaniser des êtres humains:
- Jardin d’Acclimatation du bois de Boulogne à Paris
- Jardin zoologique de Berlin
- Zoo de Francfort (Zoologischen Garden)
- Zoos d’Ausbourg
- Zoo d’Amsterdam
- Zoo de Rotterdam
- ... (liste non exhaustive)
Répartition des "Zoos humains" sur toute l'Europe

Il y a plus d'une trentaine de villes européennes où sont réalisées ces exhibitions. (Cf carte ci-dessous). 

 

Anvers : 1804
Gênes : 1913 Naples : 1899, 1934
Amsterdam : 1900 Genève : 1903
Nijmegen : 1900
Bâle : 1924 Göteborg : 1896
Palerme : 1903
Barcelone :1896 Hanovre : 1903
Prague : 1893
Bruxelles : 1897,1910, 1930 Haye : 1900
Rome : 1931
Budapest :1896 Hambourg : 1874 Rotterdam : 1909
Cologne : 1903 Lausanne : 1903
Saint-Petersbourg : 1884, 1903
Copenhague : 1899 Leipzig : 1905
Stockholm : 1892
Dresde : 1899 Liège : 1905
Turin : 1898, 1928
Dublin :1907 Lisbonne :1940 Varsovie : 1899
Düsseldorf :1903 Londres : 1908
Vienne : 1896, 1910
Fribourg : 1903 Milan : 1905, 1909, 1932
Zurich : 1925, 1930
Gand : 1913 Munich : 1899
 ...
Glasgow :1892 Oslo : 1899
 Liste non exhaustive


 

  En France, à Paris, il y a plus de quarante exhibitions d’êtres humains entre 1889 et 1931. Sur le territoire national, outre Paris on compte plus d’une quarantaine de villes où ces exhibitions ont été mises en place par le gouvernement ou par des « commerçants d’humains » privés en collaboration avec les municipalités.

 

 Amiens : 1906  La Rochelle : 1927
Reims : 1903
 Angers : 1906  Le Havre : 1909
Rochefort : 1898
 Arras : 1904  Le Mans : 1911
Roubaix : 1911
 Avignon :1899, 1907  Liège : 1905, 1910
Rouen : 1896 , 1929
 Auxerre : 1908  Lisieux : 1905
Saint Ouen : 1910
 Brest : 1901,1913,1928  Lille : 1902, 1904
Sète : 1922
 Bordeaux : 1895,1904,1907  Limoges : 1903, 1929
Strasbourg : 1891, 1895, 1924
 Calais : 1908  Lons : 1905
Toulouse : 1908
 Chambery : 1903  Marseille : 1890, 1906, 1922 Tours : 1899
 Châtellerault  : 1899  Montpellier : 1899
Troyes : 1904
 Cherbourg  : 1904  Nancy : 1909
 ...
 Clermont Ferrand : 1910  Nantes : 1904, 1924
  Liste non exhaustive
 Cognac : 1902  Nice : 1931
 
 Dijon : 1898,1908  Nogent sur Marne : 1907
 
 Grenoble : 1925  Poitiers : 1899
 
 Lyon :1894,1897,1899,1914  Orléans : 1904