A quoi joue Abdoulaye Wade?

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A quoi joue Abdoulaye Wade?

On savait le président sénégalais peu avare en autocompliments, voire mégalomane, mais ce qui vient de se passer à l’occasion de la «libération» de Clotilde Reiss et de son retour en France est hors normes.

Avant même que la jeune fille ne pose le pied sur le sol français dimanche, Abdoulaye Wade s’est empressé de revendiquer la paternité de la médiation qui a permis sa libération. Face à la moue dubitative des spécialistes du dossier et au silence éloquent de certains décideurs français (notamment Bernard Kouchner), mortifié d’être remercié au même titre —ni plus ni moins— que le Brésilien Lula (en ce moment à Téhéran) et le Syrien Bachar al-Assad, le ministère des Affaires étrangères sénégalais a publié un compte-rendu détaillé de toutes les démarches entreprises: coups de téléphone, allers-retours, rendez-vous à Paris, Dakar ou Téhéran. Et un petit règlement de comptes à la clé.


En résumé, Wade, de retour d’un voyage à Téhéran en octobre 2009, fait comprendre lors de son escale parisienne à Claude Guéant (secrétaire général de l’Elysée), accompagné d’André Parant (responsable de la cellule Afrique de l’Elysée), qu’il y a matière à négocier avec Ahmadinejad. Il a le feu vert de Paris pour une médiation. Le ministre sénégalais des Affaires étrangères s’affaire jusqu’au 13 novembre, date à laquelle Wade transmet un message important à Parant, venu tout exprès à Dakar. Mais le lendemain, Parant, de retour à Paris, demande à Wade de tout cesser, selon la version sénégalaise.


Plus tard en novembre, c’est Ahmadinejad qui vient au Sénégal: l’affaire Reiss n’aurait pas été évoquée. Finalement, Claude Guéant demande le 26 mars 2010 à Karim Wade, ministre et fils du Président, de réactiver la médiation sénégalaise. Ce dernier entreprend aussitôt un voyage à Téhéran en compagnie de l’avocat Robert Bourgi, célèbre entremetteur de la Françafrique. Puis c’est au tour du chef de la diplomatie iranien, Manouchehr Mottaki de venir à Dakar le 3 avril. Le 6, Karim Wade rend compte à Guéant à Paris. Le président sénégalais reçoit dans la foulée une lettre de Nicolas Sarkozy «qui permet de faire aboutir rapidement les discussions». Le 11 mai au soir, Abdoulaye Wade cherche à joindre son homologue français pour lui annoncer la bonne nouvelle: Téhéran a décide de relâcher Reiss. Vu «l’heure tardive», il trouve Claude Géant.

Les comptes personnels du président sénégalais


Ce récit appelle quelques remarques. Il est suffisamment précis et vérifiable pour ne pas souffrir contestation, du moins sur le calendrier. On sait que Wade, qui préside en ce moment l’Organisation de la conférence islamique (OCI), s’est beaucoup rapproché des Iraniens ces derniers mois, et qu’il entretient un dialogue régulier avec Ahmadinejad. On sait aussi que le Sénégal et la République islamique ont des liens anciens. Mais est-ce que toutes ces rencontres, tous ces voyages étaient consacrés à l’affaire Reiss ? C’est plus compliqué à affirmer et il n’est pas difficile de reconstituer un agenda tant les contacts au plus haut niveau entre Paris et Dakar sont réguliers.


Côté français, on ne nie pas que Wade ait effectué une mission de bons offices, mais on souligne que la Syrie a eu un rôle nettement plus actif, au moins au début, lorsque Clotilde Reiss est sortie de la prison d’Evin. Surtout, on souligne l’action du président brésilien, jugée plus décisive que l’activisme brouillon du digeant sénégalais.


On ne peut pas manquer aussi de remarquer l’instance de Wade à régler quelques comptes personnels. Ainsi, André Parant est accusé d’avoir «retardé» de six mois la libération de Reiss en mettant brutalement fin à la médiation sénégalaise. Il faut savoir qu’Abdoulaye Wade ne décolère pas contre le conseiller Afrique de l’Eysée (qui est bien André Parant et non Jean-David Levitte, comme il est écrit dans le communiqué de Dakar), qui a eu des mots très durs contre sa gestion calamiteuse et contre sa volonté de voir son fils Karim lui succéder lors d’un déjeuner avec l’Association de la presse diplomatique. Seulement, un journal français a brisé le "off" et reproduit les propos de Parant… Depuis, c’est la guerre entre «gorgui» (le vieux) et le Monsieur Afrique, par ailleurs ex-ambassadeur de France à Dakar. Et l’affaire Reiss est une arme parmi d’autres. Au passage, Wade rend un discret hommage à l’avocat franco-sénégalais Robert Bourgi, qu’il préfère aux diplomates français dont il n’apprécie pas la froideur hautaine et les leçons de morale (Wade n’est pas en bons termes avec Jean-Christophe Rufin non plus). Dans la série des perfidies, Sarkozy en prend aussi pour son grade: injoignable à 23h30 le 11 mai, heureusement que Guéant est là pour tenir la boutique.

Enfin, le communiqué du ministère sénégalais des Affaires étrangères pose deux questions essentielles. Qu’est-ce que Wade négociait exactement (puisqu’il parle de modalités d’accord) en novembre dernier? Et surtout, quelle est la teneur de cette lettre envoyée par Sarkozy aux Iraniens, via le Sénégal? Etant donné la libération précipitée d’Ali Vakili Rad, attendue dans les heures à venir, cette missive prend un intérêt certain…

Photo © Reuters: Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad main dans la main avec Abdoulaye Wade  en novembre 2009. 

 

 

Libération de Clotilde Reiss: «On aurait pu gagner six mois» pour Abdoulaye Wade


 

Le président sénégalais Abdoulaye Wade met en
avant son rôle de médiateur dans la libération

Le président sénégalais Abdoulaye Wade met en avant son rôle de médiateur dans la libération de Clotilde Reiss. (© AFP Seyllou)

La liberation d'Iran de la Française Clotilde Reiss est le «résultat direct» de la médiation du président sénégalais Abdoulaye Wade, assure ce dernier qui estime qu'elle aurait déjà pu intervenir il y a six mois, dans un entretien au Parisien.

«Ce que je peux affirmer, chronologie en main, c'est que cette libération est le résultat direct de ma médiation», affirme le président sénégalais. Abdoulaye Wade ajoute que Clotilde Reiss, revenue en France dimanche après avoir été retenue pendant dix mois en Iran, aurait pu être libérée six mois plus tôt.

«Dès septembre 2009, j'avais demandé aux Iraniens, lors d'une visite à Téhéran, de la libérer pour raisons humanitaires», explique Abdoulaye Wade qui assure que le président iranien Mahmoud Ahmadinejad avait «accepté».

Mais, cela n'a pas eu lieu car le conseiller de l'Elysée aux Affaires africaines André Parant «m'a appelé de Paris pour me demander d'abandonner le dossier, expliquant qu'il y avait quelqu'un dessus et qu'il ne fallait pas d'interférences», rapporte Abdoulaye Wade.

«Jusqu'au jour où, en mars dernier, le président Sarkozy m'a demandé de reprendre ma médiation. Voilà pourquoi on aurait pu gagner six mois», estime-t-il.

Nicolas Sarkozy a remercié dimanche «tout particulièrement le président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, le président du Sénégal Abdoulaye Wade, et le président de la Syrie Bachar al Assad, pour leur rôle actif» dans la libération de Clotilde Reiss, sans donner de précisions sur ses circonstances.

Lectrice à l'université d'Ispahan (centre du pays), Clotilde Reiss était accusée d'atteinte à la sécurité nationale de l'Iran, notamment pour avoir participé à des manifestations de l'opposition contestant la réélection du président Ahmadinejad en juin 2009.

Arrêtée le 1er juillet 2009, elle avait été libérée mi-août et assignée à résidence à l'ambassade de France à Téhéran. Elle est rentrée en France dimanche.

(Source AFP)