GUADELOUPE . Derrière l'affaire Bino, une raison d'état ?

GUADELOUPE . Derrière l'affaire Bino, une raison d'état ?

Pointe à Pitre. samedi 5 juin 2010. CCN .

Tout un quartier de Pointe à Pitre bouclé jeudi dernier, aux aurores par les forces de l’ordre . L’impressionnant dispositif policier, devait permettre la « reconstitution » de l’assassinat de Jacques Bino, le syndicaliste LKP. Les rares journalistes présents n’ont pas vu Ruddy Alexis. Le « coupable » désigné par le procureur, incarcéré depuis 15 mois et mis en isolement, a en effet refusé de participer à ce que ses avocats et lui , qualifient de « mascarade » Retour sur une affaire qui n’ a pas ( encore ) livré tous ses secrets d’état. Récit

Jacques Bino (photo extraite du blog de la CGTG)

Flash Back : Jacques Bino, en plein mouvement social est assassiné dans la nuit du l7 au18 février 2009, dans un quartier populaire de Pointe à Pitre . il est tard, le syndicaliste venait de quitter le «  Bik » QG du LKP. Dans la nuit, qui ce soir là est particulièrement chaude, des coups de feu claquent. Bino qui est dans son véhicule avec un ami, est mortellement atteint. Les nombreux barrages, qui bloquent les rues de la ville, ne faciliteront pas l’accès au lieu du crime. Quand les secours arrivent Jacques Bino a déjà rendu l’âme. Consternation au LKP. L’enquête policière démarre sur les chapeaux de roues.

Qui a tué Jacques Bino et pourquoi l’a-t-on, tué ? c’est la double question qui se pose au LKP¨et dans tout le pays ?

Qui est Jacques Bino ?

 un homme tranquille. il travaille aux impôts, où il voit passer des dossiers sensibles, concernant des grosses fortunes de Guadeloupe. C’es aussi un militant syndicaliste CGTG, c’est à ce titre qu’il est au LKP. Il faut aussi rappeler qu’au moment de l’assassinat de Bino, au plus fort du mouvement social, le gouvernement français, passablement désorienté par l’ampleur de la contestation du LKP a fait discrètement venir en Guadeloupe, une équipe de " super flics ". On ne le saura qu’après la mort de Jacques Bino. Ce sont ces super flics du RAID qui dés le surlendemain du crime, interpelleront sans ménagement Patrice. un jeune étudiant, il a été «  balancé » par des voisins. Les super flics français foncent. Après avoir fracassé la porte d’entrée de son appart’ et sérieusement malmené le jeune étudiant, ils s’apercevront qu’il n’est pas concerné par l’affaire. Patrice qui a été passé à tabac sera libéré. Une bavure restée impunie et racontée sur le blog «  chien créole ».

En poursuivant leur enquête, les superflics, « dénichent » des témoins, qui dans un premier temps accusent Ruddy Alexis. Sa compagne est d’abord gardée à vue, puis Ruddy Alexis ira de son plein gré à la police. Son calvaire débute le 20 février. Il est immédiatement accusé du crime. Alexis est le coupable « idéal ». Son frère ayant déjà eu des antécédents judiciaires. En 1996, les manblos avaient semble t- il trouvé des cartouches à son domicile. Cela suffit pour accuser R. Alexis  du meurtre.
Du coté des manblos, on affirme alors avoir trouvé des balles «  brenneke » chez le présumé assassin. Les avocats ne cessent de contester cette version

 Daniel Démocrite et Alex Ursulet, les deux avocats de Ruddy Alexis, venus sur lieux de la « reconstitution » ont expliqué à la presse en quoi la  détention de leur client était « arbitraire » Ruddy Alexis, apprendra t-on a refusé toute participation à la « reconstitution » Il ne sortira jamais du fourgon policier.
Alors, que les flics s’activent pour tenter de convaincre, des témoins récalcitrants de confirmer leurs dires, les avocats de l’accusé tiennent une mini conférence de presse improvisée derrière le dispositif policier.

Daniel Démocrite (avocat), très remonté contre l’institution judiciaire dénonce les conditions de détention de Ruddy Alexis : «  il est dans une situation inhumaine destiné à l’humilier à l’affaiblir, à le déstabiliser, a l’avilir nous n’acceptons pas cette situation, nous demandons au juge de le mettre en liberté ,car il est innocent quand le procureur dit qu’on a trouvé des balles chez lui, ce n’est pas vrai, on a rien trouvé du tout. Les témoins qu’on propose, dont on voudrait disposer, ils ne disent ni de façon précise ,ou imprécise , qu’Alexis ait pu participer...
On veut faire payer à un innocent, une situation qui s’est déroulée pendant la gréve du LKP.. M .Alexis n’a rien a voir avec la mort de Bino, ...( ) il faut qu’on puisse m’expliquer comment à plus de cent mètres et dans l’obscurité, Alexis qui n’a pas de balles brenneke  ait pu tirer et atteindre Bino. Je suis d’ailleurs entrain de m’ interroger sur les circonstances, et je me demande , qui avait intérêt à créer cette situation qui a mis fin au conflit. »

L’avocat continue :
« Un détenu a des droits, il y a des conditions dignité imposées par la loi pour qu’un détenu subisse une détention digne M. Alexis a du faire une gréve de la faim de 27 jours pour avoir un droit de visite. Ce sont là des conditions anormales, pourquoi on le soumet à ce régime la ? nous voulons la manifestation de là vérité. On ne veut pas que cette affaire soit enterrée. Or on s’aperçoit qu’on a choisi une piste et une seule, on a ainsi exclu toutes les autres, or celle qui a été retenue ne tient pas la route et pourtant on persiste ; il faut que toute la vérité soit faite sur la mort de Bino »

Et Alex Ursulet, le second avocat, d’en rajouter une couche : «  l’institution judiciaire est totalement dépassée par les évènements qui ont eu lieu il y a un an et demi et dépassée par cette affaire... on foule au pied les droits de la défense, on méprise Alexis, il faut voir comment le juge d’instruction s’adresse à un prévenu qui est présumé innocent.. si c’est comme ça, il vaut mieux qu’il n’y ait ni prévenu ni avocat de défense, ... ce n’est pas ça la justice ..On garde en isolement un homme pendant plus de 15 mois.. on fait venir le GIGN, on boucle un quartier de Pointe-a-Pitre en pleine journée.. or les faits ont eu lieu pendant la nuit, c’est absurde.., il y a là quelque chose qui ne tourne pas rond.. »

Interrogé par CCN Daniel Démocrite a tenu à préciser que le dossier était vide et que contrairement à ce que disait le juge d’instruction, on n’avait pas retrouvé de balles au domicile de Ruddy Alexis.
On comprend alors que cette affaire recéle encore bien des « mystères ». D’abord, si on se réfère aux propos des défenseurs d’Alexis, ce dernier ne serait pas impliqué dans ce meurtre . oui, mais alors qui ?

Daniel Démocrite a sérieusement évoqué une « raison d’état ». Le propos n’est pas anodin..

On quitte là le simple fait divers, et l’affaire Bino, prend une toute autre dimension.
Il est donc légitime, de se demander si Jacques Bino, n’aurait pas, été la victime d’un crime commandé,   ce qu’on appelle dans le langage des truands un « contrat » ? Si cette hypothèse était un jour validée par des éléments précis, cela signifierait que Bino, avait connaissance à des dossiers fiscaux sensibles et gênants. Allait-il les transmettre au LKP ? cela suppose que le syndicaliste aurait été « sonorisé », c’est à dire son téléphone écouté... une autre série de questions se pose : écouté oui, mais par qui ? Au profit de qui ?
2ème hypothèse. Pour dramatiser un conflit qui durait trop et y mettre un terme, Bino aurait été « exécuté ». Mais qui aurait pris cette décision ?

Dans un pays colonisé, aucune hypothèse ne peut être rejetée d’emblée. Les colonialistes français, ne s’embarrassent pas de scrupules, lorsque leurs intérêts immédiats sont menacés.
Qu’on se souvienne de l’affaire du Rainbow Warrior en 1985, quand sur ordre de Charles Hernu, ministre socialiste de la défense, le bateau de Greenpeace avait été plastiqué, par deux barbouzes-agents secrets français. Un photographe avait trouvé la mort...
En mai 67, le guadeloupéen Jacques Nestor, ancien militaire du génie, activiste du GONG, repéré par la police a été. abattu.Car dans le contexte de la Guadeloupe, de 1967 Nestor, était un élément potentiellement « dangereux »

Bino aurait il été «  liquidé »? mais qui a tiré ? Où est l’arme du crime ? Y aurait-il eu ce soir là dans les rues de Pointe à Pitre un «  commando » chargé d’exécuter des membres du LKP ? On sait que ce même soir, à quelques encablures de la cité HenriIV, il y eut une autre affaire de blessures avec fusil. Des douilles de brenneke auraient été trouvées, mais les flics n’ont fait aucune enquête véritable sur cette 2ème affaire : Pourquoi ?

Ce sont là des questions qui embarrassent et qui rendent cette affaire pour le moins trouble. les avocats ne sont pas loin de penser qu’on veut faire porter le chapeau à Alexis, pour occulter les vrais assassins.
Mais si tout cela se vérifie, même dans sa cellule, Ruddy Alexis peut être en danger car traditionnellement en prison, un « accident est si vite arrivé...