Albert Londres et la traite des noirs, en 1929

Albert Londres et la traite des noirs, en 1929

La collection de poche 10/18, a republié sous le n° 1664 le reportage d’Albert Londres paru sous le titre «Quatre mois parmi nos noirs d’Afrique» dans le Petit Parisien en 1928.

SALIM JAY

Ce texte devint « Terre d’ébène » avant de s’appeler « La Traite des Noirs » sur une idée du préfacier, Francis Lacassin : « Ce n’est pas la recherche d’un jeu de mots facile ni d’une quelconque assonance qui a poussé l’éditeur à faire suivre « La Traite des Blanches » et « La Traite des Noirs ». Il s’agit dans le second comme dans le premier reportage d’un esclavage insidieux, d’un esclavage qui n’ose pas dire son nom. »

Le Sénégal, la Guinée, le Soudan, la Haute-Volta, la Côte-d’Ivoire, le Togo, le Dahomey, le Gabon, le Congo : Albert Londres fit un voyage d’obstiné, un voyage d’empêcheur de fouetter en rond. Le témoignage qu’il rapportait créa de l’inquiétude : « Le gouvernement général de l’Afrique Occidentale Française (…) vient d’inviter douze journalistes et douze parlementaires, dans l’espoir que ces vingt-quatre personnes constateront que ceux qui, jusqu’ici, m’avaient pris pour un homme et non pour un âne, feraient bien de se rendre compte qu’ils n’ont aucune capacité quand il s’agit de distinguer la race humaine de la faune domestique.» La faute d’Albert Londres était simple : il y était allé voir alors que «les dirigeants de nos colonies veulent bien montrer « leur » pays à quelques citoyens, mais seulement à la lueur d’une lanterne sourde». A regarder les voyageurs empruntant le train qui joint l’Atlantique au Niger, Londres dit qu’il faudrait emporter une caisse d’immortelles avec soi (quant on a quarante caisses !…) et semer sur le parcours ces fleurs séchées : « On serait sûr, de la sorte, d’honorer, à chaque traverse, la mémoire d’un nègre tombé pour la civilisation». Dans « La Traite des Noirs », ce n’est pas un grand bourgeois hédoniste qui exprime quelques vives protestations destinées à suivre la voie hiérarchique de l’administration coloniale prise à témoin, comme André Gide, c’est une sorte d’outlaw qui parle, quelqu’un dont la seule loi est de dire ce qu’il voit.

Londres rapporte des faits : « Un blanc qui frappe un noir a vint-cinq francs d’amende, mais il faut des témoins. » Et la remarque litanique : « On cuit le jour, on cuit la nuit » qui est comme le lamento obligé de tant d’écrivains occidentaux passés par l’Afrique. Mais l’auteur de « La Traite des Noirs » ne manque pas d’à-propos, il ajoute : « De quoi se plaint-on ? L’Afrique ne prend personne de force », qui est, en somme, une variante du fameux : « L’Afrique vous dit m… » de Georges Simenon, autre grand témoin peu apprécié du parti colonial. Albert Londres est attentif à respecter : « Pas de pauvres chez les noirs. Ils pratiquent le vrai communisme. L’homme qui refuserait le couscous serait déshonoré. Aucun n’est jamais tombé d’inanition. Quand ils meurent de faim, c’est en masse, tous en chœur et dans une même famine. » Londres s’assied-il, à Bamako, parmi les indigènes ? Il lui suffit de constater le « grand ébahissement de la gent européenne ». « Ils ne me cachaient pas que je perdais la face à mêler de la sorte mon bel individu à la peuplade soudanaise. Les natifs, eux, s’en moquaient bien ! » Et Londres dénonce le scandale des « marchandises de traite » : savons qui ne moussent pas, peignes sans dents. Il dénonce surtout la lanière de peau d’hippopotame servant de cravache et clame : « L’esclavage, en Afrique, n’est aboli que dans les déclarations ministérielles d’Europe. »

Albert Londres a des formules assassines pour définir le système colonial : « Le blanc ? L’Afrique muette n’est qu’un terrain de football. Deux équipes, toujours les mêmes, blanches toutes deux. L’une porte les couleurs de l’administration. L’autre les couleurs de l’homme d’affaires. Le nègre fait le ballon. La lutte autour du ballon est farouche ».