La Négresse esclave dans la lutte: La mémoire d’un crime sans châtiment.

Le Négresse esclave dans la lutte: La mémoire d’un crime sans châtiment.

De Kofi Adu MANYAH.

Extrait:
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La femme captive était soumise au viol, au fouet, aux mutilations et à l’exploitation.

« Dans la dernière nuit avant l’accostage au Brésil, les marins, ivres de rhum, descendaient dans la cale pour violer les femmes. Une femme enceinte avait un prix supérieur sur le marché d’Olinda ». 
L’objectif principal était de multiplier le nombre d’esclaves pour accroître la puissance du maître. Les rangs des femmes esclaves étaient donc parcourus à volonté pour assouvir les moindres désirs du maître. Une femme enceinte du maître pouvait être affranchie. Après en avoir usé, les maîtres les abandonnaient ensuite à la « purge fécondante » des esclaves étalons qui visitaient les femelles sur l’ordre du maître.

Les femmes n’avaient aucun droit sur le statut de leurs propres enfants. Après avoir été achetées, les mères pondeuses regardaient les Blancs emporter les enfants qu’elles ne devaient plus jamais voir ou toucher (articles 12 et 13 du Code noir). 
En dehors des travaux agricoles, ces femmes étaient utilisées directement par leurs maîtres, ou louées comme nourrices ; elles travaillaient à la maison comme blanchisseuses, cuisinières, ou couturières. 
« Nombre de ces tâches... leur ont été utiles y compris pour acquérir leur liberté, qu’elles obtenaient aussi grâce à la vie sexuelle commune avec un blanc, cas assez fréquent. [...] Elles furent aussi victimes de châtiments les plus cruels et les plus outrageants, c’est-à-dire qu’on les fouettait, même quant elles étaient enceintes. Elles étaient également l’objet du sadisme de quelques maîtres, qui donnaient libre cours à leurs aberrations sexuelles avec des agissements impensables chez des esprits saints. Don Ramon Saiz, à la Havane, en fut une illustration ; il promit à l’esclave mulâtresse Horencia Rodriguez on Hernandez, âgée de 14 ans, de lui octroyer la liberté si ‘elle lui prêtait son corps’ (...). Etant parvenu à ses fins, non seulement il ne la libéra pas, mais il la punissait fréquemment et l’obligeait à travailler dans une forge. Selon les propos de l’esclave, ‘il tenta même de lui mettre des anneaux d’argent dans la partie la plus intime de sa personne’ » .

Dans son combat, Malcolm X évoqua ces aberrations sexuelles et ces agissements impensables de la part des maîtres blancs : « (...) Le maître blanc n’hésitait pas à duper sa propre femme en lui faisant croire qu’elle était trop pure pour son ‘instinct animal’. Cette ‘noble’ ruse lui permettait de satisfaire, sous le nez de sa conjointe, son penchant pour les femmes noires, plus ‘animales’. Ainsi la mère de famille voyait naître et grandir sur la plantation de petits bâtards café-au-lait, manifestement les fils de son mari, de son père, de ses frères, ou de ses fils » (Malcolm X & Alex Haley, 1993 : 248).

Les femmes travaillaient également aux champs, à la culture du tabac, à la culture de la canne, et à l’alimentation du moulin à sucre où elles étaient souvent victimes d’accidents : « Il est important d’empêcher que les négresses qui donnent à manger aux moulins ou qui repassent les bagaces (fibres de canne à sucre) ne puissent toucher avec le bout des doigts à l’endroit où les tambours se touchent ; ce qui pourrait arriver si la largeur des établis ne les empêchait, principalement la nuit, quand accablées du travail de la journée et de sommeil elles s’endorment en poussant les cannes et se penchant sur l’établi elles suivent involontairement les cannes qu’elles tiennent en leur main, elles se trouvent prises écrasées avant qu’on puisse les secourir, surtout quand c’est un moulin à eau dont le mouvement est si rapide qu’il est physiquement impossible de l’arrêter pour sauver la vie à celle dont les doigts se trouvent pris » .

Après de multiples mutilations et d’énormes pertes en vies humaines il fallait renouveler sans cesse le nombre de bras sur les plantations. A cause du taux de mortalité élevé des esclaves et de la baisse de la population en Afrique, les politiques de reproduction virent le jour vers la fin du XVIIIe siècle. 

Les maîtres blancs favorisèrent alors « l’élevage ». Par la suite également, lorsque la traite fut abolie au XIXe siècle et qu’il devint de plus en plus difficile et coûteux d’acheter des esclaves. Comment agir, face au refus des femmes de se soumettre au rôle de reproductrice de petits esclaves qu’on peut prendre et vendre à tout moment, face au refus des femmes de porter le fruit du viol ? Comment faire pour empêcher la femme d’avorter afin d’épargner sa progéniture de ce sort cruel ? Le fouet, le collier de fer et d’autres châtiments étaient réservés à ces femmes « récalcitrantes », trop fières pour porter le fruit du viol, trop immergée par l’amour maternel pour laisser leurs enfants subir ce sort cruel. En 1774, dans la Commune de Jean-Rabel à Saint-Domingue (Haïti), au sein de la sucrerie de la famille Foäche originaire du Havre, le châtiment à infliger à l’accoucheuse ainsi qu’à la mère qui perdait son enfant pendant la grossesse ou pendant l’accouchement était le suivant :
« Lorsque l’enfant périt, que la punition de l’accoucheuse soit ce fouet et celle de la mère le fouet et le collier de fer qu’on doit lui laisser jusqu’à ce qu’elle redevienne grosse ; que toutes les négresses qui se croient grosses soient obligées sous peine de punition de le déclarer à l’accoucheuse, qui en fait rapport au chirurgien, lequel doit en tenir un registre. La négresse déclarée grosse et reconnue pour telle qui fait une fausse couche sans le déclarer doit être punie du fouet et du collier de fer jusqu’à ce qu’elle redevienne grosse. De même toute négresse qui fait une fausse couche lorsqu’elle ne provient pas de quelque chose connue » (Debien, 1962 : 130).

Le crime du génocide

La traite négrière et l’esclavage transatlantique, c’est l’histoire du génocide du peuple noir. Ce concept de crime contre l’humanité, techniquement imprescriptible, englobe les actions qui détruisent ou anéantissent la culture nationale, les droits politiques et la volonté nationale. Pour qu’une action soit qualifiée de génocide, il ne doit pas y avoir nécessairement l’intention spécifique de causer la mort. On remarquera à ce propos que depuis le XIXe siècle et les abolitions du trafic de la chair noire, la « communauté internationale » a attendu jusqu’aux années 1940 pour définir ce qu’était le génocide : « Sans Auschwitz, les Européens n’auraient jamais su ce qu’ils avaient fait aux Africains » (Métraux cité par Ziegler, 1980 : 79).


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