Rama Yade et les noirs de France

Rama Yade et les noirs de France

Rama Yade-Zimet est haut fonctionnaire, vice-présidente du club XXIème siècle et secrétaire nationale de l’UMP à la francophonie. Elle vient de publier Noirs de France aux Editions Calmann-Lévy. Un livre sans complaisance sur les rapports des Noirs français avec la République. Entretien.

Le sous-titre de votre ouvrage mentionne « un rendez-vous manqué entre la République et les Afro-antillais ». Le modèle français d’intégration est-il un échec ?

 
Rama Yade-Zimet : En ce qui concerne les Afro-antillais, ce modèle a atteint ses limites. A cause d’une histoire largement commune avec la France, tout plaidait pourtant pour une intégration rapide des populations afro-antillaises. Mais les pouvoirs publics, obsédés par l’Islam terroriste, ont porté tout l’effort d’intégration sur les Maghrébins. Du coup, même les Antillais et autres ultramarins, qui ont pourtant toujours été français, se sont sentis négligés, à cause de leur épiderme. La République ne parvient plus à vendre ses charmes à une génération de Noirs français surdiplômée et consciente que les discriminations qu’ils subissent ne portent pas sur leur nationalité (puisqu’ils sont français) mais bien sur leur couleur de peau. Chaque jour, les jeunes expérimentent la contradiction entre une République qui leur dit d’oublier leur couleur de peau et une Nation qui leur ferme les portes de ses entreprises ou de ses partis politiques par crainte des réactions négatives de la clientèle ou de l’électorat.
Le communautarisme noir auquel on assiste aujourd’hui, résulte finalement de la profonde déception des Afro-antillais. Et ce communautarisme a ceci d’inédit qu’il rompt ouvertement avec le modèle français d’intégration qui, traditionnellement, ignore les spécificités de type « racial ». Rupture dans le diagnostic, puisque les Noirs expriment le souhait de faire reconnaître le critère ethnique comme élément fondamental des discriminations subies. Rupture dans la réponse à apporter à cette crise puisque les Noirs questionnent directement le modèle d’intégration à la française à travers l’interrogation suivante : ce modèle est-il fait pour eux ?

Vous évoquez le profond malaise de la jeunesse noire française, en parlant même de « schizophrénie » des Afro-français, « Blacks en France et Français en Afrique ou aux Antilles ». Comment sortir de l’impasse ?


 Rama Yade-Zimet : Le jeune Noir français ne sait plus, en effet, où donner de la tête. C’est un personnage de rupture. Il ne se sent ni français, puisque la société française lui fait sentir tous les jours sa différence, ni afro-antillais puisque, quand il se rend en Afrique ou aux Antilles, il sent bien qu’il ne ressemble plus aux Africains ou aux Antillais. Alors, il se bricole une identité réduite à sa couleur de peau et inspirée de l’Amérique, là où « black is beautiful » et où le « black power » existe.
Alors, comment sortir de l’impasse ? En vérité, ni l’assimilation, ni l’intégration, ni la « black attitude » ne permettront aux jeunes Noirs de se sentir bien dans leur citoyenneté. L’assimilation est une négation de l’homme : elle intériorise la honte des origines et donc de soi-même. Le terme intégration choque aussi : pourquoi celui qui est né en France et qui n’a connu que ce pays devrait convaincre les autres de sa légitimité à être français ? La black attitude, elle non plus, ne mène à rien de viable. Accepter d’être appelé Black, c’est consentir à sa propre humiliation, rien d’autre. Il ne semble pas non plus tenable de vivre dans le refus d’être français, à cause des discriminations. Autrement dit, les jeunes Noirs doivent accepter leur statut de Français, sans craindre de se perdre dans cette aventure. Etre français ne veut pas dire se toubabiser (néologisme inspiré du mot wolof « toubab », qui désigne le « Blanc », ndlr), c’est-à-dire se « blanchir ». Cela suppose simplement respecter les lois du pays, assumer ses devoirs dans la République ; bref, être un Français de cœur et pas simplement de papiers. Après tout, aux Etats-Unis, les Afro-américains, les Sino-américains et les Latino-américains, bien que conscients de leurs origines, sont très fiers d’être américains : le drapeau étoilé flotte à leurs fenêtres même dans les ghettos les plus reculés. Une condition cependant : il faut que la République raconte aux jeunes Blacks l’histoire de l’immigration pour qu’ils sachent ce qu’ils font en France.

 

Seriez-vous favorable à ce qu’on appelle communément en France la « discrimination positive », très mauvaise interprétation de l’expression « affirmative action » (action positive) américaine ?


 Rama Yade-Zimet : Oui, j’y suis favorable. On peut faire semblant de croire, comme on le fait depuis 30 ans, que le modèle traditionnel d’intégration marche pour les Noirs. On peut aussi tourner autour du pot avec des concepts aussi creux que l’égalité des chances qui n’ont pas fait avancer les choses d’un iota. Mais, dans ce pays, sans la discrimination positive, l’avenir des Noirs ne sera pas assuré. Non pas qu’ils seraient incapables de se réaliser tout seuls, mais une grande partie du « système » s’y opposera toujours, même implicitement : pourquoi, en effet, l’égalité se ferait-elle toute seule aujourd’hui alors que de brillants esprits comme Senghor, Fanon, Césaire et Maran ou des valeureux comme les tirailleurs n’y sont pas parvenus ? Ce n’est pas tant que la France est raciste, il n’y a pas besoin d’être raciste pour discriminer. Mais la ghettoïsation par le logement, l’emploi, la sous-représentation dans les médias ou dans la politique, les préjugés post-coloniaux sont devenus des phénomènes si ancrés que seule une action prenant le taureau par les cornes permettra d’y remédier.

 

Vous parlez des Noirs de France, mais par ailleurs vous affirmez dans votre livre que la communauté noire n’existe pas. Cette somme d’individualités nées pour beaucoup en France, qui partagent quand même des expériences communes liées au racisme et à la discrimination, et qui ont des fonds culturels certes pas identiques mais relativement proches, ne finit pas en fin de compte à constituer une communauté spécifique ?


 Rama Yade-Zimet : Je suis farouchement indépendante d’esprit. C’est sans doute pour cela que je ne veux pas de l’existence d’une communauté dans laquelle on m’inclurait sans me demander mon avis en me prêtant les mêmes caractéristiques que ce groupe (du genre, les Noirs savent tous danser ou chanter). Ce n’est parce qu’on est noir qu’on ressemble aux autres Noirs. Penser cela est une forme de racisme, une régression par rapport au reste de l’humanité. Les Noirs sont des êtres humains comme les autres avec leurs différences d’origine, culturelles, religieuses, sociales etc. D’ailleurs, si les Noirs avaient voulu ou pu former une communauté, le nombre de mariages mixtes ne serait pas si important.
Par conséquent, pour la plupart des Français d’origine africaine et antillaise, l’identité noire se construit quelque part entre le désir d’appartenir à la société française, l’impossibilité ou le refus de renouer avec la culture d’origine et la lutte commune contre les discriminations. Il n’y a rien qui relève d’une culture noire commune. Quel pourrait d’ailleurs être le contenu de cette culture noire ? Pour le sociologue Michel Wieviorka, une culture particulière parvient à se différencier de la culture majoritaire si deux conditions sont remplies : d’abord, l’existence d’une situation initiale de domination (tel est le cas avec l’esclavage, souffrance commune et fondatrice) ; ensuite, la capacité de la minorité à proposer quelque chose de culturellement valorisé au reste de la société. Quelle culture spécifique les Noirs de France ont-ils aujourd’hui à proposer au pays où ils vivent ? Aucune ! Il y a bien eu la négritude, référence afro-antillaise la plus solide à travers la double figure de Senghor et de Césaire. Mais, aujourd’hui, ce concept n’est plus opérationnel, sinon ça se saurait. Et puis, Wole Soyinka, prix Nobel de littérature en 1986, a bien averti : « Le tigre ne crie pas sa tigritude. Il agit ». Alors, agissons ! Et pour cela, point besoin d’une communauté noire comme préalable : il suffit aux Noirs, aussi différents soient-ils, d’entendre une insulte considérée comme raciste (les propos de Pascal Sevran ou de Georges Frêche par exemple) pour se mobiliser ensemble ! S’il faut attendre que cette fameuse communauté noire se constitue, nous ne ferions rien aujourd’hui. Et c’est bien le piège dans le lequel les « républicains de l’extrême » voudraient nous voir tomber ! Alors, laissons les débattre de l’existence ou non de la communauté noire, et, de notre côté, agissons !

 

Les Afro-français n’ont-ils pas leur part de responsabilité dans leur sous-représentation à tous les niveaux des structures politico-économiques dominantes du fait de leur manque d’organisation et de leurs nombreuses divisions ?


Rama Yade-Zimet : Bien sûr que les Afro-français ont une part de responsabilité dans ce qu’il leur arrive ! Il n’y a rien de plus raciste que de considérer les Noirs comme responsables de rien ! Je sais qu’il y a des Noirs qui se complaisent dans la posture de victimes. Mais il faut qu’ils sachent que cette posture donne satisfaction à ceux qui ne veulent pas qu’ils avancent. Personnellement, je refuse de considérer le Noir comme un être qui ne doit inspirer que la pitié ou être instrumentalisé médiatiquement par certaines organisations : pourquoi quand une association a besoin de dénoncer le manque de logements en France en occupant un immeuble vide, va-t-elle systématiquement chercher des familles africaines ? Après tout, il n’y a pas que les Africains qui souffrent du mal logement ! Mais c’est toujours eux qu’on va chercher et c’est encore mieux lorsqu’ils parlent le mal le français et qu’ils se promènent, face caméra, avec une ribambelle d’enfants. Vous ne voyez pas le piège ? On montre ainsi aux Franco-français que décidément, les Noirs sont toujours des sources de problèmes pour la France (problèmes de squats ou de papiers) et qu’ils sont moins intégrés que les autres. Ces autres minorités, qui, pendant ce temps, passent pour mieux « intégrés » et auxquelles on pense dès qu’on a besoin d’une figure pour mettre en pratique la discrimination positive.
Quant aux divisions au sein des populations afro-antillaises, elles ne sont pas plus nombreuses que dans les autres minorités. Mais, chez les Noirs, c’est une constante que de mettre l’accent sur ces divisions. Un exemple tout bête : en France, dès qu’une personnalité noire émerge dans l’espace médiatique, littéraire, économique ou politique, une partie non négligeable de la « communauté noire » se dresse contre elle en la qualifiant de « vendue », de « bounty » ou de « négrier ». Ces mots n’existent pas chez les Asiatiques ou les Maghrébins, qui, eux, sont fiers de leurs figures de réussite ! Ces mots-là, ce sont des Noirs qui les utilisent pour discréditer d’autres Noirs, de la même manière qu’en Afrique, ce sont des Noirs qui ont servi d’intermédiaires aux négriers blancs ou plus tard à la Françafrique. Et une fois que ces soit-disant « bounty » échouent, ce sont ces mêmes Noirs, à l’origine de l’échec, qui pleurnichent ! Le reste de la population peut alors dire tranquillement : décidément, ces Noirs n’arriveront à rien. En contribuant ainsi à l’échec de certains leaders potentiels, ils ne feront que donner satisfaction aux observateurs qui ne veulent pas que la condition des Noirs s’améliore. L’impatience qui s’exprime ne doit donc pas conduire certains à tomber dans un piège aussi évident.

 

 

Propos recueillis par Philippe Triay

Rama Yade-Zimet, Noirs de France, Editions Calmann-Lévy, Paris, 2007 

 

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