Cinéma: La Vénus noire

Cinéma: La Vénus noireSaartjie Baartman, la Vénus Hottentote - @ Venue Hottentote

 

 

On l'appelait la "Vénus Hottentote". Comme bon nombre de femmes Khoi-Khoi d'Afrique du Sud, la jeune Saartjie, initialement Satchwe, présentait une morphologie très particulière : une stéatotypie, ou hypertrophie graisseuse des hanches et des fesses qui se traduisait par une proéminence importante du postérieur, doublée d'un "tablier génital" : des petites lèvres particulièrement allongées

 

 

 
Cette particularité physique, fréquente chez les femmes Khoisan d'Afrique du Sud, devait faire son malheur. Abdellatif Kechiche (l'Esquive) signe un portrait bouleversant de Saartjie, dont le rôle est tenu par une inconnue, Yahima Torrès, dénichée à Belleville.
 
La véritable histoire de la Vénus Hottentote, une histoire de préjugés
 
Exhibée en France au XIXe siècle dans les salons parisiens, moquée et humiliée, objet d'étude et de fascination pour les scientifiques de l'époque en pleine réflexion sur les théories raciales, Saartjie est exhibée telle un animal de foire jusqu'à sa mort précoce à l'âge de 26 ans, victime d'une infection pulmonaire. Son calvaire de cinq ans continue post-mortem : le plus célèbre anatomiste te l'époque, Cuvier, obtient de pouvoir la disséquer et de conserver dans le formol ses attributs si particuliers.
 
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Ces restes vont continuer d'alimenter la curiosité publique, d'exposition en exposition, jusqu'à ce qu'une bataille juridique s'instaure entre la France et l'Afrique du Sud, à l'initiative de Nelson Mandela qui souhaite que les restes de la Vénus Hottentote retrouvent sa patrie, à la demande d'une ethnie, les Griquas, qui descendent des Khoi-Khoi, l'ethnie d'origine de la jeune femme.
 
En 2002, la France restitue les restes de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud, qui lui organise des funérailles nationales : sa dépouille est accueillie à l'aéroport du Cap avec les honneurs, chants et danses tribales la célèbrent, et Nelson Mandela prononce son oraison funèbre. Il n'est pas possible d'effacer son calvaire, mais justice lui est rendue, sur sa terre natale.
 
Yahima Torrès s'est totalement investie dans le rôle
 
Repérée par Abdellatif Kechiche dans les rues de Belleville en 2005, Yahima Torrès, une jeune Cubaine, a mis cinq ans à se préparer au rôle. Elle a dû prendre 15 kilos, muscler ses cuisses et apprendre la danse et la langue afrikaners.
 
Certaines scènes lui ont été particulièrement pénibles à tourner : l'humiliation permanente de Saartjie dans les salons parisiens, Saartjie niée dans son intégrité physique et psychologique tant par la foule qui la touche et la frappe, que par les scientifiques qui font de même sans son autorisation et dont elle doit se défendre, l'a bouleversée. "Je n'ai eu aucun mal à pleurer, je n'avais qu'à me mettre à sa place", explique-t-elle.
 
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Cette comédienne débutante irradie l'écran de sa présence presque muette, et de son regard fiévreux et douloureux, tel un long cri de révolte et de désespoir.
 
Un scénario cruel, conforme à la réalité
 
Le long calvaire de Saartjie devenue Sarah est disséqué à la loupe. Des scènes presque interminables sur le rôle qu'elle est contrainte de jouer, tel un animal de cirque que l'on sort de sa cage en le tenant en laisse, sur les quolibets, les humiliations. Les spectacteurs sont invités à la toucher, et même plus tard, à la chevaucher.
 
Si les Britanniques, au temps de son passage à Londres, finissent par s'offusquer de ce spectacle que certains jugent indécent et mènent le maître de Saartjie/Sarah au tribunal, les Français qui l'accueillent dans leurs salons parisiens ont moins de scrupules. Bêtise et condescendance prévalent, et la lente déchéance de la jeune femme, qui la mène à la prostitution puis à la mort est annoncée dès les permières images.
 
Le scénario est marqué par le rapport ambigu de Saartjie avec son maître, qui se convainc à intervalles réguliers de son bon vouloir, puis perd peu à peu le contrôle de la situation. Il finit par "vendre" aux naturalistes du museum d'Histoire Naturelle un examen complet de l'anatomie particulière de la jeune femme. Celle-ci se révolte au moment de dévoiler son intimité. Le destin aura raison de sa réticence : l'anatomiste Cuvier récupèrera sa dépouille, réalisera un moulage en plâtre de son corps, et prélèvera les organes génitaux qui seront exposés au museum d'Histoire Naturelle.
 
Une mention spéciale à l'acteur Olivier Gourmet qui campe un stupéfiant salaud, le montreur d'ours qui amène Saartjie de Londres à Paris.
 
Abdellatif Kechiche, cinéaste humaniste
 
Le réalisateur de La graine et le mulet , César du meilleur film en 2008, et de l'Esquive, a lui aussi été bouleversé par l'histoire de la Vénus Hottentote. Mais pire que son triste parcours, sa dissection post-mortem lui a semblé l'humiliation suprême, le viol ultime. Un spectacle cruel, une triste "histoire de classes, de mépris et de préjugés, qui reste, hélas, très contemporaine".
 
Au-delà de l'histoire tragique de cette jeune Sud-africaine, le réalisateur s'interroge sur le racisme d'aujourd'hui, sur certains discours politiques qui "rappellent celui de l'anatomiste Cuvier" et selon lui, se "traduisent dans les actes, comme l'expulsion des Roms".
 
Kechiche, cinéaste humaniste, n'enjolive rien, n'évite rien, ne romance rien. Seule la vérité brute est ici contée, dans toute sa crudité, dans toute sa cruauté.