Lumumba ou la foi dans l’amitié et la fraternité trahie !

Lumumba ou la foi dans l’amitié et la fraternité trahie !

Écrit par Jean-Pierre Mbelu   
Vendredi, 15 Juillet 2011 07:34

La première partie de cet article a essayé de mettre un accent particulier sur les valeurs défendue par la philosophie politique de Lumumba et sur les questions que pose l’héritage de cette pensée. Dans cette dernière partie de notre article, nous voulons relire la trahison des valeurs de la fraternité, de l’amitié et de l’égalité en la resituant dans le contexte du « gouvernement fantôme » du monde..


Plusieurs lectures de l’assassinat de Patrice Emery Lumumba la situent dans le contexte de la guerre froide. Sans plus. Sans en indiquer les ressorts. Or, il nous semble que notre devenir commun au Congo (RD) est lié à une connaissance approfondie du modus operandi du « gouvernement fantôme » du monde et à la création collective des actions alternatives. Explicitons.
Quand Lumumba est-il assassiné ? Le 17 janvier 1961. A cette époque, qui gouverne le monde ? La réponse habituelle à cette question serait : « Les USA, la Belgique et leurs alliés, gagnants de la deuxième guerre mondiale. » Cette réponse est facile et ne dit presque rien sur les véritables tenants du pouvoir politique mondiale à cette époque. En relisant le dixième chapitre du livre de Michel Collon intitulé Les 7 péchés d’Hugo Chavez (Investig’action, Bruxelles, 2009), nous apprenons qu’à cette époque, le monde est gouverné, dans l’ombre, par un think tank, le Cercle de Bilderberg, créé par l’empereur américain du pétrole, David Rockefeller.
Contrairement à une idée reçue sur les think tanks, le Cercle de Bilderberg, est plus qu’un réservoir d’idées. Il est, comme la Trilatérale qui naîtra après, un centre de décision. « C’est là que se forment les grandes stratégies du Nord contre le Sud, bien avant d’être mises en application à Washington ou à Bruxelles. La vérité est que certains de ces think tanks, écrit Michel Collon, constituent le véritable gouvernement des Etats-Unis et du monde. Le gouvernement de l’ombre. » (p.231) L’assassinat de Lumumba participe des stratégies de la guerre du Nord contre le Sud. Il participe de l’affaiblissement des luttes nationalistes du Sud contre l’impérialisme.
Les think tanks, ces clubs secrets, sont des créations d’une association de multinationales occidentales chapeautées par « un père fondateur ». Pour revenir au Cercle de Bilderberg, il est important de savoir qu’ « après la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait de définir en commun une politique permettant de contrer la montée du socialisme et des luttes de libération nationale dans le tiers monde. » (p.232) Disons que ce cercle est une création collective au profit du capitalisme et des oligarchies d’argent.
Quelle est la particularité de ces clubs secrets ? D’où vient leur force ? Leurs objectifs ne sont pas connus du grand public, des masses, de la rue…Ils recourent à un double langage : un discours convenu sur la défense des droits de l’homme et la philanthropie et un usage barbare de la violence aux dépens du droit pour réaliser leurs objectifs. Souvent, le grand public, les masses et une certaine rue sont pris dans le piège de ce double langage. Lumumba y serait tombé au point de croire très rapidement que son pays, en accédant à l’indépendance politique, devenait effectivement l’égale de son ex-colonie. Et que les pays occidentaux pouvaient coopérer avec le Congo pour l’aider à acquérir son indépendance économique. Il a répété le discours des valeurs défendues par la Charte de l’ONU et étudiées à l’école. Son arrestation et son assassinat ont révélé l’autre face du discours convenu. L’aide apportée au coup d’Etat de Mobutu a révélé que l’indépendance politique du Congo n’avait pas renversé les rapports de force en faveur du peuple congolais. (Nous en sommes encore là.)
Pourquoi ? Les objectifs définis et atteints par les think tanks sont des créations collectives, des créations en commun, fruits de la conjugaison de plusieurs pouvoirs occidentaux. Leur réalisation ne peut pas être empêchée par un discours ou par quelques actions menées, à court terme, par des partis politiques se réclamant de Lumumba. Freiner les actions des think tanks exige la création des think tanks alternatifs à partir d’une connaissance approfondie et permanente de ceux créés par les oligarchies d’argent.
Dans ces efforts à déployer pour acquérir une connaissance approfondie du modus operandi de ces clubs secrets, un essai de remise en question permanente des théories politiques (mal) apprises à l’école est indispensable. Pourquoi ? L’école et l’université classiques peuvent participer de la création collective des clubs secrets liés aux oligarchies d’argent dans le but de violer l’imaginaire, de lobotomiser les peuples. Pourquoi ? Pour la simple raison que l’émancipation mentale et spirituelle des peuples est dangereuse pour l’expansion de la violence, du mensonge et de l’hypocrisie au détriment du droit et au profit des oligarchies d’argent.
Revenons au modus operandi de ces clubs secrets. Qui se retrouve par exemple au sein du Cercle Bilderberg ? « Bilderberg regroupe les plus grosses sociétés de l’économie et de la finance, les plus importants politiciens et hauts fonctionnaires, des responsables de l’armée et des services secrets, ainsi que quelques universitaires. Et des représentants des grands médias. » (p.232). Quelques photographes interdits de franchir la grille du Château de Versailles où se tenait l’une de ses réunions en 2003 avaient pu, de loin, identifié certains visages. Au sujet des grosses sociétés de l’économique et de la finance, ils nous aident à citer Deutsche Bank, Danone, Shell, Axa, France Telecom, Nokia, Coca-cola, etc. Les hauts responsables politiques qui y étaient présents sont entre autres José Emmanuel Barroso (Président de la Commission Européenne ), Pascal Lamy (Commissaire Européen au commerce), etc. Le pouvoir militaire y était représenté par un ex-secrétaire général de l’Otan. Y étaient aussi présents les responsables des médias tels que Die ZeitLes EchosNew York TimesFinancial Time, etc. (Aux fanatiques de la démocratie occidentale, Michel Collon pose cette question : « N’est-il pas complètement immoral de voir tous ces mandataires publics, qui ont été élus ou désignés pour, en principe, défendre les intérêts de tous leurs concitoyens, venir en réalité prendre leurs instructions auprès des multinationales ? Se faisant, ils critiquent le caractère antidémocratique de ces clubs secrets contrôlant les instances politiques tant nationales qu’internationales.)
Disons que Lumumba comme les autres nationalistes africains ont été pris dans le piège de ce genre de clubs secrets au sein desquels l’union entre le pouvoir politique, économique, sécuritaire, médiatique et culturelle est la chose la mieux partagée. Ici, le pouvoir n’arrête pas le pouvoir ; le pouvoir enrichit le pouvoir et permet une grande cohésion dans le maintien et/ou le renversement des rapports de force. L’union entre tous ces pouvoirs fait la force et a souvent soutenu l’usage de la violence contre le droit dans les pays du Sud.
Dans ce contexte, hériter de Lumumba, c’est approfondir son appel à l’unité de l’Afrique contre les impérialistes, maîtres de la politique du « diviser pour régner ». C’est prendre conscience que les usagers du principe de « diviser pour régner » connaissent le pouvoir que donne l’union dans l’action. Pas une union verbale. Mais la création permanente d’un « nous » fort de son pouvoir politique, économique, militaire, sécuritaire, médiatique et culturel.
Dans la pratique du Cercle de Bilderberg par exemple, une certaine approche de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs est dépassée. Ce cercle opère à partir d’une différentiation des pouvoirs poussant à leur commune conjugaison.
Nous venons de parler un peu de Bilderberg, nous pouvons aussi parler de la Trilatérale , ce club cherchant à créer et à maintenir un lien économique trilatéral entre le Japon, l’Europe et les Etats-Unis pour enliser l’URSS et contrôler le pétrole. L’important dans l’étude de ces clubs secrets est de savoir que dans « les démocraties occidentales », « la politique n’a aucune indépendance. Les ministres et présidents qui déclenchent les guerres dépendent des multinationales. Et parmi ces multinationales, les pétroliers jouent le rôle décisif. » (p.239). Elles ont monté un système que les simples discours ne peuvent démonter. La solidité de ce système dépend de la diversité et de la qualité de ses composantes. Mais aussi de l’unité existant entre elles et celle de « commandement » (assurée par David Rockefeller). Tel est le système qui a mis fin aux jours de Lumumba et qui a, en 1996, soutenu la guerre d’agression contre notre pays. (Les 26 minutes du documentaire intitulé en français Le conflit au Congo. La vérité dévoilée en donne une certaine visibilité sans trop toucher aux acteurs majeurs tapis dans l’ombre.)
Il arrive que ce genre de réflexions (à laquelle nous venons de nous livrer) soit assimilé à une tentative de déresponsabilisation des acteurs locaux des assassinats de nos leaders politiques et de notre misère anthropologique. Non. Un système fonctionnant en réseau (national et transnational) a des membres à tous les niveaux du pouvoir politique, économique, politique, médiatique, culturel, sécuritaire et militaire. Malheureusement, il arrive qu’il y ait une confusion entretenue au niveau des acteurs (majeurs et apparents), que les marionnettes soient considérées comme les véritables maîtres du système dans l’oubli et/ ou l’ignorance du « gouvernement fantôme » opérant dans les coulisses, loin des regards amateurs.
Questionner le contexte historique de l’assassinat de Lumumba permet de fouiner dans les coulisses du « gouvernement fantôme » du monde pour un réarmement moral et intellectuel en fonction des luttes actuelles et futures.
Parler des lieux où opère ce « gouvernement » en termes de clubs secrets peut être démobilisateur. Mais la montée des pays émergents sur le devant de la scène politico-économique est un signe que le pouvoir de ce « gouvernement fantôme » est fragile. « La révolution égyptienne », le printemps espagnol et grec, les indignés Belges, Français, Irlandais, Portugais et Sénégalais montrent, depuis tout un temps, par leurs essais de création collective, que des alternatives à ce système des think tanks du capitalisme du désastre sont possibles.
Dans cet ordre d’idées, les véritables héritiers de Lumumba sont et seront ceux qui sauront s’inscrire dans la ligne de sa dénonciation de la théâtralisation de la vie politique par les impérialistes et mener des actions pour une union des pouvoirs (politique, économique, militaire, sécuritaire, médiatique et économique) en la fondant sur le droit (contre la violence), sur l’amitié, la fraternité et l’égalité (avec les autres peuples du monde) . Des valeurs portées par un leadership collectif garant de la souveraineté économique, culturelle et politique de notre pays et porte-étendard du panafricanisme des peuples. Un leadership collectif capable d’insérer le Congo de Lumumba dans un monde devenu multipolaire par sa connaissance de ses enjeux géostratégiques, géopolitiques, géoéconomiques et géoculturelles.