Polémique: origine culturelle cause de la délinquance

Polémique: origine culturelle cause de la délinquance

Pourquoi les jeunes issus de l'Afrique sahélienne sont-ils surreprésentés dans la délinquance en France ? Dans “Le Déni des cultures” (Seuil), le sociologue Hugues Lagrange insiste sur les facteurs “culturels” : polygamie, soumission des mères, autoritarisme des pères… Et provoque un débat incendiaire. Retour sur quinze jours de polémique

 

Résumé des épisodes précédents
Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS, professeur à Sciences Po, fait le constat que les Noirs, et plus précisément « les jeunes issus de l'Afrique sahélienne », sont surreprésentés dans la délinquance en France. Se démarquant de l’approche socio-économique de la majorité des chercheurs travaillant sur la question, il met en avant le « facteur culturel » : le déficit d’autonomie des femmes, l'autoritarisme des pères ou la polygamie, eux-mêmes aggravés par la façon dont la France accueille ses immigrés expliqueraient, pour une bonne part, les« dérives des quartiers d’immigration ». 

Un vrai débat ou un coup marketing ?
A la lecture du livre, un curieux malaise s’installe : comment Hugues Lagrange a-t-il pu conclure que les « facteurs culturels » expliquent « la dérive des cités sensibles » alors que ses études, très fouillées, s’étalant sur plusieurs années, des ghettos noirs de Mantes-la-Jolie (1) au 18e arrondissement de Paris, invitent à plus de circonspection. De tableau en tableau, de statistique en statistique, on voit bien que la question est évidemment plus compliquée. Et que le « facteur culturel », largement mis en avant dans le titre, l’introduction et la quatrième de couverture, est loin d’être le critère unique et même déterminant pour expliquer la délinquance.

Trois exemples, parmi d’autres, relevés au fil des 350 pages : 
Le taux de délinquance moindre des élèves d’origine maghrébine est attribué par Hugues Lagrange à l’enracinement de cette immigration et à l’entrée de nombre de familles dans les classes moyennes. Alors question sociale ou culturelle ? 

Un autre tableau (p. 142) montre à quel point le taux de réussite en sixième, au brevet et aussi le taux de verbalisation pour infraction est corrélé avec la situation de chômage du père de famille (51 % de taux de réussite en sixième pour un enfant de chômeur, 62 % pour un enfant d’employé, 71 % pour un enfant de cadre ou profession libérale) 
Le taux de chômage est-il plus pertinent que la polygamie pour expliquer la réussite scolaire et les taux de délinquance ? 

Questions de méthodologie, enfin : de quelle délinquance parle-t-on ? Quelle est la valeur de statistiques reposant sur des procès verbaux pour infraction quand on sait que les « Noirs » ont environ six fois plus de risque d’être contrôlés que les « Blancs », et les « Arabes » huit fois plus. (cf étude d'I. Goris, F. Jobard et R . Lévy).

Généralisations abusives
Hugues Lagrange se base donc sur plusieurs années d’observation dans des quartiers de très forte homogénéité sociale. En gros, des ghettos très noirs et très pauvres. 
Des cas de polygamie (2), il généralise à tous les Africains du Sahel vivant dans ces quartiers. Et des ghettos à dominante africaine à tous les quartiers en difficulté. Ou comment, à partir d’un recueil de données scientifiques, on arrive à une affirmation (page 16) qui l’est nettement moins : « Ma conviction est que les dérives des quartiers d’immigration ont des ressorts qui, au-delà des difficultés socio-économiques, puisent dans un excès d’autorité ainsi que dans un déficit d’autonomie des femmes et des adolescents. » Conviction ou démonstration ? 
Au rang des généralisations abusives, les remarques sur les Asiatiques sont gratinées : tous enfants de Confucius, ils sont crédités d’une culture millénaire et « savent depuis le plus jeune âge l'importance d'apprendre en s'appliquant avec concentration ». D’un sociologue, on attendait un peu plus de finesse. 

Le Déni des cultures répond-il à l’autisme de la gauche ? 
Le sociologue s'insurge contre les propos d’Eric Zemmour, qui avait déclaré le 6 mars à la télévision que « la plupart des trafiquants sont noirs et arabes ». Pas question, s’indigne Hugues Lagrange, de rejoindre ce type de discours. Mais des propos zemmouriens au discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, le 30 juillet dernier, faisant le lien entre immigration et délinquance, le chercheur savait bien dans quel contexte politique il lâchait sa bombe incendiaire. 
Partir d’hypothèses racialistes (les Noirs sont comme ci, les Asiatiques comme cela…) est un pari scientifiquement intenable. Et la récupération par l’extrême droite est au bout du chemin. Suffit-il, pour s’en absoudre, de dire que la gauche n’a jamais voulu affronter en profondeur la question des quartiers (ce qui est vrai) et qu’elle craint de se poser les « bonnes » questions ? 

D’ailleurs la polygamie est-elle l’une de ces « bonnes » questions pour expliquer la délinquance ? 

Ce matin, dans une interview à Libération, Hugues Lagrange revenait sur la polémique entourant son livre. On m’a mal compris, explique-t-il en substance, « ce sont les conditions d’accueil et d’insertion en France de familles et de jeunes issus de traditions très différentes qui posent problème ». 
Alors, est-ce finalement la polygamie, l’autoritarisme des pères, la démission des jeunes mères qui font problème ? Ou bien l’accueil et la politique d’insertion en France ?