Débat sur la laïcité : un musulman répond à Copé Marwan Muhammad

Débat sur la laïcité : un musulman répond à Copé Marwan Muhammad

Copé: lettre à un ami musulman

Cher Jean-François, j’ai lu avec grand intérêt la lettre que tu m’as adressée dans l’Express et, puisque nous sommes désormais amis, permets-moi de te tutoyer et de te dire les choses en toute franchise

D’abord je dois te confier que chez moi (en France avant que tu demandes), ce n’est pas comme ça que l’on traite ses amis. On ne fait pas un débat pour savoir comment nos amis devraient s’habiller ou s’exprimer. On ne se mêle pas de leur vie religieuse et on ne se permet pas de dire à leur fille que sa robe est trop longue. Ce serait très déplacé, tu en conviendras.

On ne se sert pas non plus de ses amis pour gagner des élections. On ne salit pas leur dignité et on ne leur porte pas préjudice, même si ça fait monter l’audimat au radio-crochet du coin…

Tu dis vouloir m’aider à combattre les préjugés à mon sujet, mais c’est toi qui les alimentes à chaque fois que tu prononces les mots islam, menace et laïcité dans la même phrase.

Je ne t’ai rien demandé et je n’ai pas besoin de ton aide. Je veux juste que tu me laisses en paix. Le jour où tu auras vraiment envie d’avoir une conversation avec moi, retrouve moi autour d’un bon repas, sans caméras si possible, comme ça tu pourras me regarder dans les yeux te dire le fond de ma pensée. D’ici là, si vraiment tu t’ennuies et qu’il te reste de l’énergie, je peux t’indiquer un certain nombre de problèmes qui requièrent toute ton attention dans le pays : à commencer par le fait qu’il manque du travail à beaucoup de nos concitoyens et que les gens ne se parlent quasiment plus depuis que toi et ton équipe tenez le micro.

J’aimerais aussi répondre point par point à un certain nombre de remarques que tu fais dans ta lettre et qui, si l’un de nos amis la lisait, risqueraient de l’induire quelque peu en erreur.

Quand tu dis que notre foi, l’islam, est « défigurée dans l’opinion par des comportements ultraminoritaires », ce serait bien de rappeler que cette « opinion » se construit moins à partir de la réalité que du discours politique et médiatique auquel, il me semble, tu participes un peu (note ce doux euphémisme que l’amitié t’offre en privilège).

Toi qui as depuis fort longtemps renoncé à la langue de bois et à la stratégie politique, tu devrais savoir qu’il ne convient pas de dire une chose et son contraire d’une interview à la suivante. On pourrait t’accuser de tenir un double discours ce qui, par les temps qui courent, reviendrait à te bannir de la sphère publique où tu sembles t’épanouir.

Plus loin dans ta lettre, tu parles de mon grand père mais tu confonds probablement, c’est celui d’un autre qui est mort à Verdun. Le mien a combattu à Al Alamein en Egypte, dans une guerre qui n’était pas la sienne. Du côté de maman, ils étaient plutôt vers Alger, où ils ont pu découvrir les joies de l’électricité dans les années 50’. C’est vrai que tout ça fait partie du passé… mais je suis bien content que tu fasses avec moi ce devoir de mémoire qui nous rappelle d’où nous venons et ce qui nous unis, tout en nous permettant de tirer des enseignements qui nous éviterons de répéter les mêmes erreurs. Comme par exemple de stigmatiser une partie de nos concitoyens pour des objectifs politiques.

Tu voudras bien m’expliquer aussi pourquoi dès que tu parles d’islam, tu te sens obligé d’invoquer la laïcité pour dire quelque chose de pas sympa juste après. Si tu n’aimes pas les barbes et les foulards, libre à toi d’exprimer ton opinion. Nul besoin de faire comme tous ceux qui, pour légitimer leur rejet des formes visibles de l’islam, se drapent sous la cape de la laïcité en espérant y trouver une respectabilité à leur racisme d’autrefois. Je sais bien que tu n’en fais pas partie, toi qui poursuit des objectifs « emprunts de paix et de respect », mais c’est tout de même dans ton camp qu’on entend des gens parler de « croisades », de la « France [qui] doit rester la France », et du jeune musulman dont on veut « qu’il travaille, qu’il ne parle pas verlan et qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers ». Si c’est toi le chef de cette belle équipe d’esprits éclairés, je te souhaite bien du courage.

C’est bien d’avoir une opinion. C’est mieux d’avoir la vérité. Or notre vérité commune est dictée par la loi de notre pays et il se trouve justement qu’en 1905, une loi a été votée pour établir le principe de laïcité que les polémistes (contre lesquels tu fais bien de t’insurger) ressassent à tort mais surtout à travers sans vraiment l’avoir lue.

Et que dit-elle cette loi ?

Elle dit que nous sommes libres.

Libres de choisir en conscience notre religion et de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la cacher ou la renier dans la sphère publique.

Libres de s’habiller comme il nous plait, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite.

Libres de prendre notre place au sein de la république comme nous l’avons fait jusqu’ici en l’enrichissant de notre travail, de nos idées et de nos espoirs.

Aucune instance musulmane n’a réclamé le changement de cette loi. Aucun musulman n’a demandé un privilège dont serait exclu l’un de ses concitoyens. Nous demandons, et la majorité de nos concitoyens avec nous, le strict respect de la loi de 1905. Sans cadres ni contraintes supplémentaires et sans polémiques pour venir, chaque jour un peu plus, restreindre nos libertés et nos droits fondamentaux.

Mon cher Jean-François, à trop vouloir nous aider, tu risques de nous causer du tort en faisant croire qu’il y a une spécificité islamique qu’on aurait jusque là ignorée. Il n’en est rien. Nous sommes des citoyens comme les autres, acteurs anonymes des changements et des sacrifices que doit concéder notre pays aujourd’hui. Ta famille politique n’est pas étrangère à cette situation (mais bon, on ne choisit pas sa famille…). Ce serait malheureux de donner ainsi raison à ces mauvaises langues que j’entends déjà dire qu’avec des amis comme toi …on n’a pas besoin d’ennemis.

Pour ces raisons, tu comprendras que je ne souhaite pas venir à ta petite fête du 5 avril. Je préfère vous laisser laver votre linge sale en famille. Fais-moi signe quand tu auras repris tes esprits et que les choses se seront un peu calmées vers chez toi.

Je termine en te rappelant que le respect, c’est d’accepter l’autre tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit, avec ses différences. Il serait bon que tu t’en souviennes désormais, avant d’invoquer une idée de fraternité que tu piétines chaque jour.

Ton ami,

Marwan Muhammad

Source : FoulExpress

Copé: lettre à un ami musulman

 

Le débat sur la laïcité et la place de l'islam a créé la polémique dans la majorité. Il débouchera sur une convention de l'UMP le 5 avril.  

REUTERS

A l'approche du débat sur la laïcité que le secrétaire général de l'UMP organise, le 5 avril, à Paris, L'Express lui a demandé d'expliciter son état d'esprit sous la forme d'une "lettre à un ami musulman". La voici.

 

Mon cher ami, 

Voilà des années que nous évoquons ensemble la difficulté des musulmans en France à faire comprendre leur foi, défigurée dans l'opinion par des comportements radicaux ultraminoritaires. Voilà des années que nous déplorons tous les deux le mélange d'incompréhensions, de peurs, de caricatures qui domine au sujet de l'islam, à tel point que beaucoup de nos compatriotes considèrent à présent que "les musulmans ne sont pas bien intégrés" ou, pire, que "la communauté musulmane est une menace".  

Je devine la peine immense que vous devez éprouver en constatant cela. Vous dont le grand-père est tombé en héros à Verdun, avec 70 000 frères d'armes de confession musulmane venus défendre la France. Vous qui êtes pleinement français et si fier de l'être, conjuguant, comme tant d'autres, foi religieuse et attachement à la République. 

Hier, vous m'avez dit votre perplexité à l'égard de ce "fichu débat" - ce sont vos mots - que l'UMP a lancé sur la laïcité. Loin de vous rassurer, cette initiative vous inquiète. Il est vrai que, depuis des semaines, tout ce que Paris compte d'imprécateurs et de polémistes aura fait de son mieux pour déformer nos intentions.  

Pour nous faire renoncer, on aura tout tenté: manipulations, insultes, intimidations... Quoi de plus essentiel, pourtant, que de rappeler notre attachement à ce précieux principe de laïcité? Que d'inviter à s'exprimer les différentes sensibilités sur ce bien qui fonde un projet de société généreux et presque unique au monde? Car la laïcité n'est pas le rejet des religions; c'est la liberté pour chacun, s'il le souhaite, de pratiquer son culte, dans le respect de celui des autres et dans le respect des lois de la République. Elle a une longue histoire, parfois houleuse. 

Alléger le fardeau

La laïcité de 1905 poursuivait un objectif premier: séparer à tout prix les Eglises et l'Etat pour en finir, disait-on alors, avec ces confusions censées tromper le peuple. La laïcité de 2011 n'a pour essence ni la division ni le combat. Elle doit au contraire rassembler. Pour mieux vivre ensemble. 

Son premier ennemi, c'est aujourd'hui l'ignorance. La méconnaissance de l'autre, de sa confession ou de sa philosophie, de ses espérances ou de ses doutes... Je voudrais tant que ce débat soit l'occasion magnifique de se mettre à l'écoute, pour mieux se connaître, se respecter et construire l'avenir. 

Nous n'éluderons pas les enjeux de l'islam de France, les progrès accomplis comme ceux qu'il reste à faire. Vous me disiez votre crainte à cet égard. C'est tout l'inverse. Notre objectif est d'alléger le fardeau qui pèse sur les épaules des musulmans de France. Ils n'en peuvent plus d'une stigmatisation causée par des comportements qu'ils condamnent. Vous êtes toujours le premier à me le dire : la pratique de l'islam dans une République laïque, ce n'est pas la burqa, ni les prières de rue, ni le rejet de la mixité... 

Le FN et les islamistes se régalent de nos divisions. Ils les suscitent parce qu'ils en vivent. Par cette lettre, je veux vous dire que nous pouvons les arrêter. Là où ils dénoncent, nous proposons. Là où ils jouent sur les fantasmes, nous clarifions les choses. Imaginons ensemble que les fidèles disposent de lieux de culte à taille humaine, en nombre suffisant et financés dans le respect de la loi de 1905. Imaginons des ministres du culte formés en France et attachés à nos valeurs. Imaginons un Code de la laïcité, connu et respecté de chacun, car rappelant à tous les règles indispensables dans nos rues, nos écoles, nos entreprises... 

Vous le voyez, les mots que j'emploie, l'objectif que je poursuis sont empreints de paix et de respect, à mille lieues des procès d'intention que l'on nous fait. La source de mon engagement n'a jamais été la division ; c'est la volonté de rassembler. Mon combat, ma vie, c'est le service d'un pays où chaque Français est considéré. Où chaque Français est important. Mon cher ami, partageons ensemble cette mission. Elle a pour nom Fraternité.