Où Sarkozy pique-t-il ses arguments ?

Discours de Nicolas Sarkozy en Guadeloupe (2011 - Voeux Outre Mer)Où Sarkozy pique-t-il ses arguments ?

Par Frantz Succab
http://www.caraibcreolenews.com/news/guadeloupe/1,2778,10-01-2011-oy-sarkozy-pique-t-il-ses-arguments-.htm

En affirmant avec force que la Guadeloupe restera française, Nicolas Sarkozy n’a rénové ni la croyance ni le discours de l’Etat. Il y a longtemps, sous d’autres latitudes, si ses prédécesseurs ont tant braillé à répétition « Algérie française », c’est bien parce que l’Algérie voulut devenir Algérienne, et elle a fini par le devenir. Cette manière d’entêtement est consubstantielle de ce qu’il est convenu de nommer « le colonialisme », une somme d’intérêts économiques, politiques et géostratégiques qui font qu’une grande puissance ne puisse s’imaginer sans territoires asservis en dehors de son propre territoire. Beaucoup d’années ont passé depuis l’Indochine et l’Algérie, mais le temps ne fait rien à l’affaire, il n’y a de pire aveugle que celui qui refuse de voir.

On n’en attendait pas moins du président de la république française. Personne ne croyait qu’il venait ici pour faire l’éloge de l’idée d’indépendance. Il est quand même venu démontrer malgré lui que la souveraineté nationale des Guadeloupéens en leur pays n’était pas une compétence de l’Etat français. Et le voilà qui se retrouve sur la même longueur d’onde que les indépendantistes, les vrais, qui entendent bien ne pas lui demander l’autorisation d’exister, de le dire comme ils le pensent, et d’agir en conséquence. 

Que les indépendantistes soient encore minoritaires, personne ne le conteste. Eux les premiers, qui savent que le chemin est long et difficile pour qu’ils deviennent majoritaires. Que font-ils d’autre que d’exprimer leurs idées critiques à l’égard du système colonial et de tenter de mobiliser les gens, avec les moyens que confère la loi à tout citoyen de s’indigner contre l’injustice ? Il est vrai que tôt où tard, comme c’est arrivé partout, y compris en France, la nécessité de changer la société de fond en comble se heurtera aux lois existantes. Alors la France, face à elle-même et face au monde, sera acculée à reconnaître le fait national Guadeloupéen. Ce sera l’heure pour que le peuple guadeloupéen imagine et institue d’autres lois, qui lui conviennent. L’autonomie ou l’autodétermination n’est rien d’autre. Ce n’est pas une loi française, mais une loi historique, humaine. Néanmoins, tout indépendantiste politiquement adulte sait que nous n’en sommes pas encore là. Et si Sarkozy nous arrive aujourd’hui à grands pas de menaces intempestives, c’est une très bonne nouvelle. Il ne sous-estime pas le danger pour son système.

Ce n’est pas le propos sarkozyen qui a  jamais inspiré les indépendantistes, mais le contraire n’est pas vrai. Tout ce qui lui vient comme promesse à la bouche lui est soufflé par l’argument indépendantiste, en se gardant bien d’en citer les auteurs. On comprend. Pas le choix. Il n’y a rien de bien folichon à prendre dans le landernau politicien de la droite ou de la gauche de la Guadeloupe et des DOM –TOM en général. Il est là comme additif numérique aux majorités présidentielles successives, pas comme machine à penser. Il est là pour entretenir un stock de votants, puisant dans les catégories des 50-80 ans, toujours majoritaires dans les urnes, mais très minoritaires par rapport à l’écrasante masse des Guadeloupéens en âge de voter, et qui ne le font pas, par dégoût, défiance ou indifférence. 

Ainsi le Président des Français ne résiste pas à l’envie d’envoyer des coups de piedsdans quelques postérieurs. Les prosternés de tout bord en prennent pour le grade. Pire, ils applaudissent en disant « encore, encore ». Et Sarkozy se lâche narquoisement « P...de M... Secouez-vous, pauv’cons ! » (Derrière le texte) « Quand il y aura la pagaille dans un territoire, l’état n’aura aucun scrupule à reprendre la situation en main.... Si on vous donne des responsabilités, il convient que vous les assumiez (Dans le texte). C’est avec une ironie à peine feinte, voire un mépris silencieux, qu’il ramasse du bout des doigts le projet d’aménagement institutionnel des élus Guadeloupéens, qu’il dit tellement complexe qu’il faut du temps pour la comprendre. Donc, rendez-vous à la Saint Valentin, à l’Elysée. 

Après avoir menacé les indépendantistes et rapetissé la classe politique locale, il faut quand même parler de choses sérieuses : 

le développement endogène, par exemple, et voilà Sarkozy scandalisé par le fait de la dépendance alimentaire des DOM. Un comble !

le droit explicite à la différence, chaque territoire devant faire valoir son propre projet institutionnel. « L’unité n’est pas l’uniformité » clame-t-il. En creux, cela n’induit-il pas que c’est précisément l’assimilation qui a engendré l’illusion de l’uniformité ?

« que le visage de l’Etat ressemble à la diversité des populations que nous avons à nos cotés », une façon de souhaiter, vulgairement parlant, que ceux qui sont aux commandes soient moins blancs. On est là à deux doigts de dire que seuls les Guadeloupéens (et non les «Expats ») devraient diriger la Guadeloupe. Mais ça, faut surtout pas le dire.

L’ouverture vers la Caraïbe, une manière de reconnaître, mais sans vraiment le faire, que la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane sont des pays caribéens.... Surtout, ne croyons pas qu’elles ne sont pas la France et l’Europe !

Quand il veut parler de choses sérieuses, il faut bien piquer quelques arguments aux indépendantistes et en faire sa sauce. Il n’y a pas, cependant, de quoi pavoiser. Sarkozy se nourrit des idées fortes des indépendantistes parce qu’il peut encore profiter de leur retard. En effet, hélas, le fait national guadeloupéen retarde sur les idées nationales. Mais bon... Avoir du retard n’est pas une honte. Le plus grave c’est de feindre de l’ignorer et plus encore, de ne pas savoir pourquoi. Gageons que ce n’est pas le cas et que le pouvoir colonial ne perd rien pour attendre !