Face aux violences policières, les quartiers populaires réticents aux mobilisations classiques

Manifestations, grève… Les actions militantes traditionnelles restent minoritaires, entre découragement, fatalité et besoin de police. Témoignages.

Sur les réseaux sociaux, Ulysse Rabaté a partagé l’appel au rassemblement pour Théo - qui a eu lieu samedi à Bobigny. Parmi ses connexions, il a noté beaucoup d’engouement (le nombre de «j’aime», la teneur des commentaires). Alors le conseiller municipal FDG de Corbeil-Essonnes l’a joué à l’ancienne

: il a organisé un départ commun de la gare pour ceux qui se sentaient d’aller manifester. «On ne s’attendait pas à 200 personnes, plutôt à une dizaine.» Finalement, ils ont pris le RER D à deux. «La question n’est pas tant de dire que partir à deux est un échec, mais plutôt de se demander ce qui ne marche pas. Les gens ne contestent pas les raisons qui poussent à nous mobiliser. Au contraire, ils les soutiennent», dit-il.

«Gravité». Ex-éducateur, il identifie des causes : les manifs n’intéressent pas les quartiers populaires, aucun leader ne donne envie de se bouger derrière lui et la thématique renvoie elle-même à un décalage. «Quand un agent gifle un jeune, ça prend une tournure étrange : les deux se foutent mutuellement de la gueule de l’autre. La dimension de gravité n’entre pas en compte, ça devient un jeu.» «Un jeu» qui provoque chez les jeunes banlieusards des Yvelines, des Hauts-de-Seine ou de Seine-Saint-Denis des remarques sur le mode : «Tu veux faire quoi ?» «C’est triste, mais il faut penser à soi-même» ; «Il y aura toujours des victimes» - propos tenus il y a quelques mois, lors de l’épilogue judiciaire de l’affaire Zyed et Bouna, les deux jeunes morts à Clichy-sous-Bois poursuivis par la police.

«Gravité». Ex-éducateur, il identifie des causes : les manifs n’intéressent pas les quartiers populaires, aucun leader ne donne envie de se bouger derrière lui et la thématique renvoie elle-même à un décalage. «Quand un agent gifle un jeune, ça prend une tournure étrange : les deux se foutent mutuellement de la gueule de l’autre. La dimension de gravité n’entre pas en compte, ça devient un jeu.» «Un jeu» qui provoque chez les jeunes banlieusards des Yvelines, des Hauts-de-Seine ou de Seine-Saint-Denis des remarques sur le mode : «Tu veux faire quoi ?» «C’est triste, mais il faut penser à soi-même» ; «Il y aura toujours des victimes» - propos tenus il y a quelques mois, lors de l’épilogue judiciaire de l’affaire Zyed et Bouna, les deux jeunes morts à Clichy-sous-Bois poursuivis par la police.

Nassim Lachelache, porte-parle du collectif Stop contrôle au faciès : «L’année dernière, les plaintes qu’on a enregistrées ont été divisées par deux. Cela ne signifie pas que les problèmes ont cessé. C’est plutôt le raisonnement "je vais porter plainte, manifester et après ?" Les dernières décisions de justice leur donnent raison.» Sur le nombre de participants au rassemblement de Bobigny, c’est lui qui relativise : «Certes, ce n’est pas énorme. Mais pour les militants, c’est déjà une victoire. On a vu des mamans, des très jeunes. Et ce n’est pas courant pour des affaires de violences policières.»

A l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois, une proche de la famille de Théo nous avait donné son ressenti avant la manif de samedi. En substance : elle remercie tous ceux qui se déplaceront mais ne croit plus trop aux marches et à ce qui en découle. Dans un court métrage - En attendant Coco (2015) -, Ulysse Rabaté et Abdel Yassine avaient mis en avant un slogan : «En 83, on a marché. En 2005, on a brûlé. Et maintenant ?» Abdel Yassine, élu à Fleury-Mérogis (DVG) : «Les mobilisations dans les quartiers ont été marquées par des récupérations politiques qui ont détourné des initiatives de leur but initial : au fil des années, les habitants sont devenus réticents.» Il était à Bobigny : «Ça a le mérite d’exister. Si des militants ne s’étaient pas battus pour Zyed et Bouna après les émeutes, quand les médias n’étaient plus là, ces deux noms n’auraient peut-être pas la résonance qu’ils ont aujourd’hui.» Sur la police, il dit : «On est sur une ambivalence : il y a la condamnation des déviances policières, mais un besoin d’avoir des forces de l’ordre dans les quartiers populaires. Des habitants ne veulent pas qu’on les abandonne en pensant qu’ils sont antipolice.»

«Convergences». Lundi, Mohamed Mechmache n’était pas à Matignon pour la réunion consacrée à l’affaire Théo. Il a décliné. Le militant, issu de Clichy-sous-Bois, s’est fait connaître après les violences urbaines de 2005. Des événements qui ont politisé une nouvelle génération. Quand on lui parle des difficultés à mobiliser les quartiers, il évoque «les egos des associatifs qui ont souvent freiné les convergences», auxquels le sociologue Julien Talpin ajoute une dimension économique : «On a l’image des grandes mobilisations organisées par des syndicats. Or ces derniers ont un avantage : ils ratissent tous les jours sur leur lieu de travail. Il y a des leaders dans les quartiers populaires, très suivis sur Internet. Le problème est que la plupart sont bénévoles. Pour investir le terrain, il faut des moyens.»

SOURCES : liberation http://www.liberation.fr/france/2017/02/14/face-aux-violences-policieres-les-quartiers-populaires-reticents-aux-mobilisations-classiques_1548539

Rachid Laïreche , Ramsès Kefi