Le bouyon hardcore : porno musical ou musique de défoulement pour jeunesse sous pression ?

Le bouyon hardcore : porno musical ou musique de défoulement pour jeunesse sous pression?



(Pour des raisons de compréhension, d’authenticité et de respect des droits des artistes, les paroles des chansons seront retranscrites in extenso en créole, article déconseillé aux plus jeunes)

Vous ne savez pas que le hit des vacances 2012 chez les 12-25 ans s’appelle « Biten woz » et que son chanteur réclame pendant 2,52 minutes « on bel biten a koukoune woz » ? Félicitations ! Vous êtes devenu ce qu’on appelle une grande personne, on gran moun. Ou peut être quelqu’un que des enfants appellent la mater ou le pater et qui n’a pas entendu le mot en K en chanson depuis « Cuisse » des Aiglons.

Pourtant, les morceaux de  bouyon dit « hardcore »  sont dans tous les Smartphones, toutes les voitures et dans la majorité des soirées de jeunes.

Qu’est-ce que le bouyon hardcore ? Ce style musical se distingue par des textes « slackness », sexuellement explicites .Il est une forme radicalisée du bouyon de la Dominique, son cousin guadeloupéen malélivé en fait. Très malélivé .Certains le qualifient de « bouyon gwada » pour bien marquer sa différence et ses thématiques sont souvent les mêmes :dénonciation de la fille de mauvaise vie appelée rate, putrie, vyé cochonne ou pétasse ,infidélité ,apologie du plaisir sexuel et de l’acte sexuel hardcore .Morceaux choisis : « kok red kokot ka mouyé,dlo ka koulé ,kokott la i cho tousa ou vle an ke fey ».Comment une branche du bouyon, faisant partie du paysage musical guadeloupéen sous le nom de jump up depuis les années 90 s’est-elle radicalisée sur notre île pour devenir du « bouyon hardcore »?

Petit historique : le jump up a connu ses heures de gloire dès les années 90 avec des morceaux tels que Met Veye de WCK,mais restait estampillé musique d’ambiance ou de carnaval .Au fil des ans, grâce aux échanges intercommunautaires avec les Dominiquais et la participation en masse de guadeloupéens au World Creole Music Festival,des groupe phares comme Triple Kay et MFR Band commencèrent à se démocratiser puis des artistes locaux furent intronisés avec notamment le remix de Allo de Triple Kay avec Daly  et le « Big Ting Poppin’ » de Daly seul. Convaincu, le public érige alors en 2011 le morceau Leggo de Riddla tube des vacances, avec un texte humoristique de qualité sur une instru bouyon. On lui doit le nouveau vocable créole « Ya sa la » qui mériterait sa place dans un dictionnaire des néologismes créoles tant il s’est intégré au langage des moins de 25 ans (et plus ! même si peu l’avouent).Si vous pensiez en 2012 que YSL signifie Yves Saint Laurent, paix à votre âme…

Tout autre style mais à la même période en 2011 le « Gaza girl crew» crée le buzz sur les réseaux sociaux avec « Sa zot vle » morceau bouyon aux paroles crues dont le refrain est resté dans toutes les têtes « Sa zo vle fess ka fend, sa zo vle le koukoune ka bat .»

Bienvenue au bouyon hardcore féminin ! Peu de professionnels pariaient sur ce style d’un nouveau genre jugé comme artisanal, aux pistes vocales mal posées. « I ké fè dèyè kaz » .Dix hits et autant de nouveaux artistes plus tard le bouyon hardcore est pourtant devenu LA musique préférée pour s’amuser d’une grande partie des jeunes de 12 à 25 ans !!  Avec « Volé nonm a moun » un tournant a été pris car pour la première fois un bouyon de la famille hardcore s’offrait le confort d’une place en classe Affaires sur les radios de grande écoute au prix d’un texte plus clean. De l’underground à la lumière !! Mais faut-il prendre ces textes au sérieux ? Non ! répondent certains, dans « Rate » de Yellow Gaza Girls, le second degré est affirmé : « nou pa pran-y o sérié nou ka pran-y jan i yé » Le bouyon hardcore se contente-t-il de mettre en musique ce que les jeunes se disent entre eux pour « délirer » ?

Interrogée, Melissa, 23 ans fan absolue du genre explique : « Ceux qui n’aiment pas le bouyon malpropre sont hypocrites ,les adultes ka fe pli mové , c’est la vraie vie çà les putries qui volent ton gars , je connais tous les sons par cœur,même mon petit cousin  connaît « Fess ka fend’ »  ,un mouvement (soirée) sans bouyon c’est pia (nul) je repars en France avec tous mes sons de WeeLow,Suppa,Doc J,Yellow gaza etc,pour me rappeler les vacances mais de toute façon à Paris aussi les soirées bouyon commencent…C’est une musique de delire ,çà gène qui

 

« Musique de délire ». Jusqu’à quel point va ce second degré ?Un éducateur côtoyant les jeunes s’inquiète : « Avant on avait un pic de grossesses précoces après le Carnaval, mais maintenant c’est tous les jours carnaval !Le sexe hard est partout avec ces morceaux, en plus c’est en créole ils comprennent tout !Qu’est-ce que vous croyez, toute une soirée à écouter çà, dans son mp3,sa voiture; les jeunes n’ont pas de recul, quand une chanson dit « valey pa krachey » pour eux c’est valey pa krachey point barre !».Il est vrai que si ces morceaux n’ont rien à envier à ses confrères jamaïcains ou américains, la difference notable est la barrière linguistique qui ici n’existe plus !

Au-delà des paroles, qu’est ce qui alors fait danser les jeunes sur ces morceaux si polémiques ? L’instrumental ou riddim frénétique et entrainant. Car le bouyon, c’est en moyenne entre 156 à 162 BPM (battements par minutes) . Pour comparer, un morceau d’électro se situe entre 130 et 135 et un morceau de dance hall comme « Booty shake » de Krys à 150 !Preuve en est, des versions instrumentales pures sont même jouées, ce qui montre la force exutoire de cette musique au-delà des paroles. Et pour beaucoup de jeunes le bouyon prend toute sa dimension festive en soirée et une soirée sans bouyon n’est pas une soirée reussie !

Si la transmission de ces morceaux par peer-to-peer et réseaux sociaux ne peut pas être contrôlée, peut- on exiger une éthique des DJ qui les jouent en soirée? Sur un marché enclavé et ultra concurrentiel, difficile d’imaginer qu’un DJ généraliste boycotte des morceaux hardcore que le public réclame. L’un d’entre eux est catégorique « la force du bouyon, la frénésie qu’il déclenche réside dans la force de ses instrus : on peut balancer le même riddim (one riddim) plusieurs fois, les gens sont aussi excités.Donc on peut jouer du bouyon sans choisir les hardcore.La seule solution : que les mouvements redeviennent comme avant et certains DJ soient conscients que c’est une musique comme une autre et pas LA seule musique, et que les plus pornos ,on peut ne pas les jouer ! Mais certains les jouent pour krazé donc ils vont toujours les jouer ! Il faut éduquer son public ! »

Sur l’instrumentale « Position riddim » sur lequel Red Eye Crew feat Asa Banton ont posé « Ouvè » (sous-entendu « like  a pince à linge ») Admiral T et Daly ont su s’imposer avec « A like hit » au texte châtié sans perdre cette énergie frénétique, essence même du bouyon. Admiral T allant encore plus loin avec « Sex drog alkol SDA » dénonçant sur un riddim bouyon les excès d’une jeunesse lancée à deux cent à l’heure sur la pente du One life (on a qu’une vie !) .Vers un bouyon conscient ?

Quelle solution alors pour allier liberté d’expression des artistes et limitation de l’accès des morceaux les plus crus aux plus jeunes? La responsabilisation de tous ! Car il n’y a pas que les plus jeunes qui raffolent du bouyon hardcore…Lu sur Twitter : «  Mon père kiff le #bouyon! Je vous dirais même pas à quel point j’ai honte !! »


Nelly Schuster “yoko”


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