Reconstruction d'Haïti : le casse-tête de la corruption

Reconstruction d'Haïti : le casse-tête de la corruption

Investir des dizaines de milliards de dollars dans un pays classé parmi les moins favorables aux affaires et les plus corrompus du monde : c'est l'un des casse-tête que doit résoudre la communauté internationale pour reconstruire Haïti après le séisme du 12 janvier, qui a fait au moins 170 000 morts. Elle tente d'associer massivement le secteur privé, appelé à relancer le moteur économique d'un pays depuis longtemps en panne et où 78 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.

Alors que les dons recensés par l'ONU dépassent désormais les 2 milliards d'euros, le Forum économique mondial de Davos, qui s'est tenu du 27 au 31 janvier, a été l'occasion pour Bill Clinton, envoyé spécial de l'ONU en Haïti, d'appeler les chefs d'entreprise rassemblés en Suisse à un "partenariat global". L'investissement en Haïti doit être vu comme"une occasion de faire des affaires", et non comme une forme d'assistance, a plaidé l'ancien président américain, qui s'était rendu en Haïti en octobre 2009, accompagné par deux cents chefs d'entreprise.

"Faire des affaires" ? Pas si simple, si l'on en croit un rapport de la Banque mondiale qui étudie la réglementation des affaires dans 183 pays du monde. Haïti y figure au 151e rang. "Il est très difficile de réaliser des transactions en Haïti et les droits de propriété y sont très mal protégés, décrit Sylvia Solf, l'une de ses rédactrices. Il faut obtenir le feu vert de nombreuses agences et des plus hautes autorités de l'Etat pour démarrer une activité : cela prend 195 jours en moyenne !"

Les délais y sont aussi parmi les plus élevés au monde pour obtenir un permis de construire, le raccordement à l'électricité et au téléphone. Pour la Banque mondiale, "il va falloir rapidement simplifier toutes les procédures de base et sécuriser les titres de propriété si l'on veut attirer les investisseurs".

Et ce d'autant plus, ajoute Mme Solf, qu'"il y a de fait une corrélation entre la complexité des procédures et le recours à la corruption". C'est là l'une des préoccupations majeures des bailleurs de fonds, alors que les organisations internationales et les "pays amis" d'Haïti ont reconnu, lors de la réunion de Montréal, le 25 janvier, que l'Etat haïtien, malgré des faiblesses de gouvernance aggravées par le séisme, était seul légitime pour gérer la reconstruction et coordonner une aide dont le total pourrait approcher les 20 milliards de dollars (14 milliards d'euros).

"La gestion de cet argent nous inquiète : nous craignons qu'une partie de l'aide soit détournée et ne bénéficie pas aux Haïtiens qui en ont besoin", prévient Marilyn Allien, présidente de laFondation Héritage pour Haïti, la branche locale de Transparency International. Cette organisation non gouvernementale a attribué à Haïti la note de 1,8 sur 10 dans son indice de perception de la corruption 2009. Sept pays seulement sont plus mal notés.

"La corruption est endémique dans les institutions publiques haïtiennes, décrit Mme Allien. La pratique est devenue systématique. Les coupables bénéficient d'une impunité totale. C'est une pratique à haut rendement et à bas risque, qui concerne tout le monde : les fonctionnaires et les élus, le Parlement, le pouvoir exécutif, le monde judiciaire, le secteur privé..."

La création, entre 2004 et 2006, d'une unité de lutte contre la corruption, d'une Commission nationale des marchés publics et d'une unité centrale de renseignements financiers n'a pas suffi à assainir l'économie. "Le responsable de la Commission nationale des marchés publics a été kidnappé en février 2006, on n'a jamais retrouvé son corps", soupire Mme Allien.

Un précédent inquiète particulièrement Transparency International : l'organisation dénonce l'opacité qui a, selon elle, entouré l'utilisation des fonds affectés au programme de soutien après les ouragans de 2008. Et notamment les 197 millions de dollars (141 millions d'euros) prêtés par le Venezuela dans le cadre du fonds PetroCaribe. "41 % de cette somme ont été alloués à la Compagnie nationale des équipements, gérée par un proche du président René Préval, précise Mme Allien. Impossible de savoir ce qui a été fait exactement avec cet argent. Selon certaines allégations, une partie aurait servi à financer la plate-forme électorale Unité mise sur pied par le président Préval."

L'ancienne premier ministre, Michèle Duvivier Pierre-Louis, qui avait demandé des audits sur l'utilisation de ces fonds, a été limogée. Elle propose aujourd'hui que la reconstruction soit copilotée par les autorités haïtiennes et la communauté internationale. Elle sera vraisemblablement entendue.

"Vu l'état de la fonction publique haïtienne, nous devrons mettre en place des outils de suivi et de gestion renforcés, estime Bruno Lemarquis, expert au bureau des crises du Programme des Nations unies pour le développement. Il est possible que les agences internationales installent leurs propres services sur place pour mettre en oeuvre les programmes."

Un contrôle d'autant plus nécessaire que la Banque mondiale a proposé de créer un fonds unique rassemblant tous les financements de la reconstruction. "Or, un tel fonds fiduciaire impose de distribuer au pays une aide budgétaire générale et non des subventions fléchées sur des projets précis, observe une source diplomatique française. Cela implique une grande confiance dans la capacité du pays à gérer son budget de manière transparente." La confiance : encore un élément à reconstruire en Haïti.

Grégoire Allix
A lire également :