Sophie, de retour d'une mission dans le pétrole, 3 400 € par mois et plein d'avantages A 23 ans,

Sophie, de retour d'une mission dans le pétrole, 3 400 € par mois et plein d'avantages A 23 ans,

Sophie rentre du Gabon où elle a travaillé sur un chantier Total, au milieu d'expatriés à l'attitude « très colonialiste ». Voici ses comptes.

« J’ai eu le job par hasard. J’ai postulé, et je suis partie deux semaines après. » Il y a un an, Sophie (prénom d’emprunt) travaillait en intérim dans un bureau d’études pour une entreprise de tuyauterie. Un jour, elle a vu une annonce proposant de partir en Afrique, pour travailler sur la construction d’une centrale de traitement au Gabon :

« J’avais envie de voyager et je ne connaissais pas l’Afrique. »

A 23 ans, elle est alors devenue métreur sur un chantier de Total à Port-Gentil, toujours employée par son entreprise de tuyauterie, sous-traitante du géant pétrolier :

« Je comptabilisais toutes les quantités. Du nombre de mètres cubes de béton au nombre de jours de grue en passant par le nombre de boulons. »

Ecœurée par l’attitude colonialiste de ses collègues

Elle nous a contacté au retour de sa mission, qui a duré quatre mois et demi. Elle voulait témoigner de son expérience dans « le monde de la Françafrique », et « des dérives du monde du pétrole ».

Même si elle s’est fait quelques amis, le travail sur le chantier, six jours par semaines, a très vite épuisé Sophie, principalement à cause de l’ambiance tendue qui régnait entre les locaux et les expatriés.

Port-Gentil est la capitale économique du Gabon, en grande partie grâce à son activité pétrolière. C’est une presqu’île « coupée en deux : les riches blancs d’un côté et les pauvres noirs de l’autre ». Si Sophie se rendait parfois de l’autre côté de la ville, pour aller au marché par exemple, elle y est toujours allée accompagnée :

« C’est très déconseillé d’être toute seule. Et le soir, jamais à pied. »

Comme les Blancs ont de l’argent, il leur arrive régulièrement de se faire agresser, ou d’être arrêtés par la police, qui espère se faire graisser la patte.

La jeune fille de 23 ans a vite été écœurée par l’univers « colonialiste » dans lequel elle évoluait. Elle n’est pas tombée sur ce qu’il se fait de mieux chez les expatriés. Un soir, elle et ses collègues ont été invités chez des Gabonais. Les femmes avaient cuisiné pendant six heures :

« Certains de mes collègues ont eu un comportement machiste et colonialiste vraiment déplorable. Des réflexions du genre : “Celle-là, elle est enceinte de devant et de derrière.” Ils se sont plaints de la nourriture, n’ont remercié personne, alors qu’ils étaient invités. »

Là-bas, les Blancs considèrent souvent et ouvertement les Noirs comme des abrutis, « des voleurs et des menteurs ». Parmi les amis de Sophie, un expatrié français, noir :

« Le premier jour, tout le monde lui parlait comme s’il était débile mental, en lui demandant s’il comprenait le français. »

Ce collègue est parti au bout de trois mois.

« Blanc = argent »

« Il y a des petites Gabonaises qui ne cherchent qu’à sortir avec un Blanc, même si c’est une minorité. Du coup, certains hommes pensent qu’ils peuvent en profiter. J’ai vu des mecs de 55 ans avec des minettes de 15 ou 16 ans. Mes collègues ne s’en sont pas privés. »

Des écarts que l’entreprise n’a pas hésité à couvrir :

« Un collègue dans ma boîte s’est fait virer parce qu’il avait mis une mineure enceinte. Comme l’avortement est illégal là-bas, l’entreprise a payé pour que la fille se fasse avorter, puis elle a acheté le silence du médecin et de la famille. »

L’homme a été licencié et rapatrié en France, pour éviter des représailles.

Revenus : 3 400 euros par mois

  • Salaire et primes : environ 2 500 euros net

Selon les mois, ellle gagnait entre 2 200 euros et 2 700 euros net et touchait en plus une prime de déplacement de 32 euros par jour, pour un salaire moyen net de 2 500 euros environ.

Sophie travaillait tous les jours de la semaine, sauf le dimanche.

  • « Argent de poche » : environ 900 euros par mois

L’entreprise lui donnait 30 euros par jour, dimanche inclus, « pour vivre ».

Avec 3 400 euros par mois, elle était là-bas l’employée la moins bien payée de sa boîte. En comparaison, un chef d’équipe gabonais employé par une boîte locale sur le même chantier touchait 400 euros par mois.

Avantages

En tant qu’expatriée, elle a eu droit à de nombreux avantages grâce à son entreprise, qui payait son logement et tous ses autres frais, du pressing à l’ouvre-boîtes en passant par les transports et la nourriture.

  • Loyer : 655 euros (payé par l’entreprise)

En plus du loyer, tous les frais liés à son logement étaient pris en charge par l’entreprise :

« Si j’avais voulu un nouveau frigo, il m’aurait suffi de passer un coup de fil pour m’en faire livrer un. Moi, je n’avais pas besoin de grand-chose, à part d’un plat pour le four ou d’un ouvre-boîtes. Ah si, j’ai fait changer ma clim’. Mais il y a des gens qui ont fait entièrement refaire leur 4x4, et ça ne leur a rien coûté ». »

  • Forfait téléphone : 60 euros par mois (payé par l’entreprise)

« Pour pouvoir appeler à l’étranger. »

  • Mutuelle : 60 euros par mois (payée par l’entreprise)
  • Avion : tout est payé par l’entreprise

Sophie est rentrée une fois chez elle en France, et elle a fait venir son fiancé une fois. A chaque fois, les billets d’avion ont été payés par l’entreprise, en classe affaires :

« Dans le monde du pétrole, c’est toujours en classe affaires. »

Selon Sophie, un tel billet coûte entre 4 000 et 5 000 euros

  • Vaccins et médicaments : 150 euros (payés par l’entreprise)

Entre autres, le vaccin contre la fièvre jaune, le rappel de l’hépatite A, les médicaments contre le paludisme.

  • Déjeuners sur le chantier : payés par l’entreprise

« Sinon, les jours où je n’étais pas sur le chantier, je dépensais 3 euros pour un poulet-riz, le plat de base. »

Dépenses fixes : 845 euros par mois

Comme Sophie partage un appartement à Lyon avec son fiancé, elle a continué à partager les factures avec lui lors de son séjour au Gabon. Etant payée le 15 du mois, elle le laissait payer, puis le remboursait. Ce sont ses seules dépenses fixes.

  • Loyer : 284,50 euros (569 euros divisés par deux)
  • Gaz : 17,50 euros (35 euros divisés par deux)
  • Electricité : 15,50 euros (31 euros divisés par deux)
  • Abonnement à Canal+ : 17,50 euros (35 euros divisés par deux)

« C’est notre péché mignon, on regarde beaucoup de films. »

  • Free (Internet, télé, téléphone) : 18,50 euros (37 euros divisés par deux)
  • Forfait téléphone : 3,50 euros (ligne française suspendue)
  • Frais bancaires : 4,50 euros par mois (option internationale, pour pouvoir retirer à l’étranger sans frais)
  • Cotisation bancaire : 3,85 euros par mois
  • Clé 3G : 35 euros par mois
  • Assurances : 0 euro

« J’ai pas le permis, et c’est mon copain qui paie l’assurance pour l’appartement. »

  • Remboursement d’un prêt : 445 euros par mois

Avec sa première paye, elle a remboursé l’argent qu’elle avait emprunté à des proches pendant ses années d’études – soit 2 000 euros.

Dépenses variables : environ 830 euros par mois

  • Repas : environ 150 euros par mois

Cette somme couvre les courses et le restaurant (deux fois par semaine) :

« Généralement, pour 13 euros, on en a pour cinq jours de fruits et légumes. Pour le resto, ça dépend, ça peut vraiment varier de 6 à 60 euros »

  • Transports : environ 10 euros par mois

Pour les employés qui ont le permis, une voiture de fonction est fournie. Mais comme Sophie n’a pas le permis, elle ne s’est déplacée qu’en taxi ou grâce à la voiture de ses collègues.

« Il n’y a pas de transports en commun à Port-Gentil. Il n’y a que des “taxis communs” : on leur dit où on veut aller, combien on est et combien on est prêt à mettre. Si ça ne leur convient pas, ils vont un peu plus loin et prennent quelqu’un d’autre. »

  • Loisirs et sorties : environ 100 euros par mois

La bière de 75 cl coûte environ 1,50 euro. A part quelques restos, Sophie est rarement sortie pendant son séjour à Port-Gentil :

« Il n’y a pas de cinéma, rien pour les sorties à part les bars et les restaurants. On m’a raconté qu’il y en avait, avant. Il y a une vingtaine d’années, il y avait des salles de cinéma, des stades, des immeubles, des transports en commun... Dans ce pays on construit, mais on n’entretient pas. Et puis c’est un peuple très pauvre, sortir coûte trop cher. »

  • Vacances : environ 270 euros par mois

Son ami est venu la voir au Gabon. Deux semaines de vacances pendant lesquelles elle estime avoir dépensé environ 1 200 euros en déplacements, restaurants et achats de souvenir.

  • Cigarettes : environ 20 euros par mois

« Le paquet coûte 1,50 euro et me fait un jour et demi. »

  • Souvenirs : environ 55 euros par mois

« J’ai acheté pas mal de souvenirs [environ 250 euros, ndlr] avant de partir. C’était sans doute ma plus grosse dépense. »

  • Vêtements : environ 60 euros par mois

« J’ai tout acheté à la fin. Je me suis fait faire beaucoup de vêtements en tissu africain, six au total. »

En plus de quelques achats en ligne, elle a dépensé 120 euros en une fois.

  • Prêts : environ 167 euros par mois

Sophie a prêté 600 euros à son compagnon. Elle a également payé ses vaccins et ses médicaments (150 euros) lorsqu’il lui a rendu visite.

  • Impôts : 0 euro

Sophie était étudiante l’année dernière

Epargne : 1 700 euros par mois

Pour l’instant, Sophie a épargné 6 500 euros, mais son entreprise lui doit encore de l’argent. Au final, elle pense qu’elle aura réussi à mettre près de 8 000 euros de côté :

« Je vais pouvoir passer mon permis et reprendre mes études sans inquiétudes. »

Titulaire d’un BTS et d’une licence en médiation culturelle, Sophie s’est inscrite en master à Lyon pour la rentrée prochaine. Son expérience lui a donné envie de s’engager soit dans le domaine de la culture, soit dans une ONG. Quant au monde du pétrole, elle compte bien le laisser derrière elle :

« On m’a proposé de prolonger ma mission, mais j’ai refusé. J’étais gênée par ce que je faisais, cette exploitation des Noirs par les Blancs... Si je repars un jour, ce sera en touriste. »