AFSUD: Soweto s'échauffe

 AFSUD: Soweto s'échauffe

Des danseurs sud-africains lors du matche entre leur équipe et la Colombie, le 27 mai à Johannesbourg.
AFP/ALEXANDER JOE
Des danseurs sud-africains lors du matche entre leur équipe et la Colombie, le 27 mai à Johannesbourg

Inutile de chercher. C'est très exactement ici, à Soweto, que se trouve l'épicentre de la fièvre de la Coupe du monde en Afrique du Sud. Dans le plus grand township du pays (près de 1,5 million d'habitants), symbole de la lutte contre l'apartheid, aux portes duquel se trouve Soccer City, le plus grand stade de la compétition, le football fait l'objet d'un culte. Déjà, lors des matches amicaux des jours derniers, les vendeurs à la sauvette proposaient à la foule des répliques en plastique du trophée, qu'on baisait religieusement pour se porter chance. Si l'équipe nationale, les Bafana Bafana, échoue, il restera le Brésil, dont le maillot est aussi jaune que celui de l'Afrique du Sud, pour faire figure de champion des coeurs. Dans tous les cas, Soweto a déjà le pied qui frétille.

Tandis qu'arrivent les premières équipes internationales en Afrique du Sud, Meli, le patron du Meli's, au coeur de Pimville, surveille l'installation de vitres le long de son fan park, où les consommateurs pourront voir les matches, protégés du froid et des passants. "Les tickets pour les matches sont chers, c'est dans les shebeens (tavernes) que Soweto verra la Coupe du monde." "Mais attention, pour le Meli's, ne dites pas shebeen, dites lounge, maintenant", assure le vétéran du monde de la nuit à Soweto, en désignant ses nouveaux sièges en simili-cuir comme une preuve de son investissement "classe mondiale" avant de promettre de la "rock ambiance" pendant tout un mois. "Match ou pas match", précise-t-il.

Dans la salle, assise face à un verre de cidre, Nombuyiselo Mapongwana a tendance à s'inquiéter des conséquences de cette fête promise. "Dans beaucoup d'endroits de Soweto, les gens auront trop peur d'aller dans les fan parks, à cause des attaques au retour", prédit-elle. Elle a appris avec consternation la fermeture de toutes les écoles pendant la compétition. "Toutes les jeunes filles lâchées dans la nature, j'ai peur pour elles. Et je sais de quoi je parle."

"ON A COMMENCÉ À PRIER"

Nombuyiselo est séropositive, le dit haut et fort. Elle a failli être emportée par le sida lorsqu'il était impossible de trouver des antirétroviraux à Soweto, en 2003. Elle travaille désormais pour un programme de prévention mis en place par la compagnie minière Anglo American. "On a commencé à prier dans les églises de Soweto pour que les Bafana Bafana gagnent les matches. On devrait aussi prier pour que la compétition ne multiplie pas les prises de risque. Tous les week-ends, je vais à des enterrements."

Pendant la semaine, Nombuyiselo Mapongwana s'épuise à convaincre ses collègues de se faire tester. "On en est arrivé à offrir un maillot des Bafana Bafana, d'une valeur de 600 rands (60 euros) pour qu'ils acceptent le test. C'est fou, non ?"

A chacun ses espoirs. Ceux de Lebo sont focalisés sur l'arrivée de clients étrangers dans son auberge pour routards. La maison familiale accueille les dortoirs, le jardin a été transformé en bar, et des touristes de la planète entière s'inscrivent pour ses tours à vélo du township. Devant l'auberge, sur l'ex-terrain vague viennent d'être installés une esplanade et des sièges en prévision des concerts de reggae et des diffusions de matches. "Les étrangers seront là. La question est de savoir si on va enfin voir arriver les Blancs d'ici", soupire Lebo. En exhibant le tatouage "Soweto" qui court sur son avant-bras, il ajoute : "Ils pensent que le township est habité par des Noirs en colère, et que la colère se transforme en violence contre eux. C'est faux, bien sûr, mais nous aussi, on doit changer pour leur expliquer qu'on les attend, ici. Il est temps qu'ils viennent."

Dans le township où le taux de chômage avoisine les 40 %, on a cru avec ferveur aux promesses de pluie d'or portées par le Mondial. Certains de ces espoirs s'effondrent, comme ceux de Buhle "Pinky" Davids. Assise dans son salon tout juste rénové du quartier de Klipspruit ouest, elle contemple, atterrée, l'étendue du désastre. Toutes les économies d'une vie, initialement mises de côté pour payer les études de pilote de son fils, ont été investies dans la transformation de sa petite maison pour accueillir des touristes. Un écran géant, des chambres coquettes, une cuisine dernier cri, tout cela devait attirer les étrangers à la recherche d'un toit et de chaleur humaine estampillée Soweto, a proximité de Soccer City.

Le demi-million de rands investis (50 000 euros) est parti en fumée. Pinky la valeureuse a suivi des stages pour apprendre tout, "comment organiser des chambres d'hôte, comment faire sa promotion, comment créer un site Web". Mais, à quelques jours de la compétition : "Rien, pas une seule réservation." Son contrat avec Match, la compagnie parente de la Fédération internationale de football (FIFA), l'empêche même de chercher ses propres clients. "Partout, il se répétait que l'Afrique du Sud manquait de chambres. On nous a menti. Maintenant, si je ne trouve pas des clients moi-même, qu'est-ce que je vais devenir ?"

DES RETOMBÉES REVUES À LA BAISSE

Elle n'est pas la seule dans ce cas. Dans les locaux de Classic Hospitality, au nord de Johannesburg, les déménageurs attendent la fin d'une dernière réunion pour emmener les chaises. On met la clé sous la porte. La compagnie travaillait pour fournir des résidences entières à la location. Pendant deux ans, Nick Papas a fait le tour des propriétaires pour les convaincre d'aller loger ailleurs pendant un mois et de mettre leur maison à disposition. "On nous disait qu'il manquait 55 000 chambres par jour dans le pays, c'était les chiffres qui circulaient", affirme-t-il.

Devant lefaible niveau de réservations, Keith Mohammed, le directeur de la société, a abandonné. Il évalue l'investissement envolé à "10 millions de rands (1 million d'euros), entièrement empruntés à la banque". Les retombées de la compétition sur la croissance de l'Afrique du Sud avaient été évaluées à 1 %. En mars, le ministère des finances divisait ce chiffre par deux. Il pourrait être encore inférieur.

Ce qui n'empêche pas les succès. Au Sediba, l'un des plus grands bars de Soweto, le manager, Sobantu Zuba, a vu grand et juste. Les marques de bière sont en compétition pour assurer la distribution de leurs produits au Sediba, où la fête va battre son plein avec "événements", musique, hôtesses et sponsors. En consultant son registre, Sobantu Zuba met en garde : "Je viens de refuser une réservation pour 100 personnes. Tout est presque plein pendant tout le mois. Il faut dire que le Sediba a une réputation de sécurité. En trois ans, pas une voiture n'a été volée chez moi !"

 

 
En face, une shebeen sans nom a aussi son plan modeste pour tirer quelques miettes des enthousiasmes de la compétition, affichant sur une ardoise ébréchée la promesse suivante : "Plat spécial Coupe du monde : frites, 5 rands (0,5 euro)."
Jean-Philippe Rémy