''Le gouvernement disait que c'étaient des criminels à abattre ''.

 " Le gouvernement disait que c'étaient des criminels à abattre ".

L’indépendance, depuis cinquante ans ? Texte de référence de la Fondation AfricAvenir International sur les 50 ans des indépendances africaines Douala, le 17 mai 2010 Par le Prince Kum’a Ndumbe III

I - Scènes et images de mes souvenirs « Eh, Figure pour toi ? » « Figure pour toi ! » « Merde, figure pour toi ! » Celui qui ne comprenait pas se retrouvait immédiatement à terre, le sang coulant sur les tempes. Les crosses de fusils n’épargnaient aucune tête, les côtes de certains se retrouvaient cassées en quelques secondes. Tout le monde devait s’asseoir à même le sol, sur des flaques d’eau boueuses, les deux mains jointes derrière la nuque. Surtout les hommes.

Peu de femmes traversaient le pont sur le Wouri à cette heure matinale. Nous les enfants, on nous laissait passer. Mais nous voyions nos pères, nos oncles torturés et déshonorés sur cette petite route qui relie le quartier de Bonassama au pont du Wouri. Personne n’avait le droit de parler, les camions jonchés de militaires s’alignaient à perte de vue. Comment certains avaient-ils pu déchiffrer le code ? Quand les soldats vociféraient leur « figure pour toi ?! », ceux-là sortaient spontanément leur carte d’identité et la tendaient aux soldats en armes.

Ces Africains étaient élancés et bien noirs, ils ne venaient d’aucune région proche de Douala, ils arrachaient avec une extrême nervosité les cartes d’identité que les citoyens qui avaient compris leur présentaient, ils les lisaient même à l’envers, comme si la photo d’identité ne leur servait pas de repère pour savoir où était le haut et où était le bas de la carte. Ces soldats illettrés venus peut-être du Tchad ou de la Centrafrique se moquaient de cette « figure pour toi » qu’ils arrachaient des mains des citoyens qui se rendaient à leur travail de bon matin. Tout le monde dans le camion, les mains derrière la nuque ! Les malchanceux à terre sur les flaques d’eau ! Ce sont ces scènes que nous avons vécues souvent le matin, à Bonabéri, en voulant traverser le pont du Wouri pour aller à l’école, avant la fête de l’indépendance, et surtout des années après. Tous les enfants des écoles étaient partis au défilé de l’indépendance. En classe, le maître nous avait appris l’hymne. Chacun la connaissait par cœur.

 Ce jour-là, nous la chantions au pas militaire : un, deux ! un, deux ! un, deux ! Au Cameroun berceau de nos ancêtres Autrefois tu vécus dans la barbarie Comme un soleil tu commences à paraître Peu à peu tu sors de ta sauvagerie ! Que tous tes enfants du Nord au Sud, De l'Est à l'Ouest soient tout amour, Te servir que ce soit leur seul but, Pour remplir leur devoir toujours. REFRAIN Chère patrie, terre chérie, Tu es notre seul et vrai bonheur, Notre joie et notre vie, A toi l'amour et le grand honneur. Nous étions donc des sauvages et des barbares, et nous le chantions avec fierté, à tue-tête. J’avais participé à ce défilé, mais je cherche en vain des images dans ma tête aujourd’hui, je me souviens seulement que nous étions tous très fatigués. Ma sœur qui habitait au camp des chemins de fer à Bassa me dira aussi que régulièrement, en allant à l’école, des cadavres jonchaient les rues, résultant des fusillades de la nuit. « Patriotes, avancez ! » « Soldats, attaquez, tirez ! » C’est ce qu’elle entendait la nuit, sous la fenêtre, morte de peur dans son lit. Mais c’est du pont du Wouri qu’un jour, revenant du Collège Alfred Saker, en 1960, j’ai aperçu des flammes immenses et des fumées gigantesques un peu derrière le quartier Akwa. Plus tard, on nous dira que le quartier Congo avait brûlé. Je sais aujourd’hui que ce fut le 24 avril 1960 et qu’il y eut environ 2000 morts, selon certaines sources. Un de nos enseignants du collège Alfred Saker avait cessé de venir nous faire cours et la police avait fait son intrusion au collège pour le chercher.

 C’est alors que nous apprendrons que des hélicoptères avaient versé de l’essence au quartier Congo et que l’armée des « figures pour toi » avait encerclé tout le quartier pour que personne ne sorte pendant que les flammes nourries par l’essence dévoraient tout à leur passage. Aujourd’hui, plusieurs sources indiquent que ce fut du napalm. En ces temps, on nous dira que notre professeur était devenu un maquisard , un criminel, un révolutionnaire, un communiste, un ennemi de la nation C’est cela que j’ai vécu les jours de l’indépendance, chez moi à Bonabéri, à Douala, où j’habitais. Ma mère ne dira jamais rien, elle ne faisait jamais de commentaires. C’est peut-être quinze ans plus tard, quand je lui demanderai les documents de mon feu père décédé en mai 1957, donc avant l’indépendance, qu’elle m’avouera : « Ton père était membre de l’Union des Populations du Cameroun, l’UPC, plusieurs réunions se tenaient ici à la maison. Le gouvernement disait que c’étaient des criminels à abattre. Après sa mort, j’ai enveloppé ses documents dans une grosse boîte en aluminium et je les ai enterrés derrière la maison. Je ne voulais pas que l’armée vienne nous tuer à cause de l’indépendance, je devais vous protéger et vous faire grandir. » II- Eliminer les patriotes africains à tout prix et perpétrer la soumission en Afrique Où fallait-il creuser derrière la maison? Après quelques essais infructueux, j’ai dû abandonner, me disant que les termites auront eu raison de la boîte d’aluminium et des documents. Je ne tiendrai pas rigueur à ma mère puisque moi-même étudiant, j’apprendrai que Félix Moumié, autre leader de l’UPC, aura été empoisonné à Genève par les services secrets français, et étant en France, je suivrai de près la parodie de procès fait au leader de l’UPC Ernest Ouandié et sa pendaison publique à Bafoussam le 15 janvier 1971. Pour rendre hommage à Ouandié, J’ai réagi aussitôt en écrivant une pièce de théâtre, « Le soleil de l’aurore ». Je ne sais pas comment me l’expliquer, mais encore étudiant, j’ai rendu un vibrant hommage à ces « martyrs africains de janvier ». Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba a été assassiné, et ma première pièce de théâtre rédigée en 1968 en langue allemande, « Lumumba II. », lui a été consacrée. A mon premier enfant, une fille, j’ai donné le nom de Patricia. Les Portugais ont assassiné Amilcar Cabral le 20 janvier 1973, et ma réaction immédiate a été la rédaction de la pièce de théâtre « Amilcar Cabral ou la tempête en Guinée Bissau » achevée en juin 1973.

Même Sylvanus Olympio a été assassiné le 13 janvier 1963 au Togo. Est-ce une conjuration du mois de janvier pour définitivement faire taire tous ceux qui réclamaient une Afrique de la dignité ? Nous avions défilé pour l’indépendance du Cameroun le 1er janvier 1960, et la peur régnait dans la ville, à Douala. Le couvre-feu réglementait les heures de sortie et les militaires tuaient à leur guise, sans rendre compte à personne. C’est ce que j’ai retenu de notre indépendance, encore jeune collégien des classes de sixième et cinquième. Plus tard, au lycée en Allemagne, je suivrai en 1963 dans les journaux la réunion à Addis-Abeba des chefs d’Etats de la nouvelle Afrique dite indépendante. Certains chefs d’Etats comme Kwame Nkrumah ou Ahmed Sékou Touré se rendront directement à Addis-Abeba et rentreront chez eux après, directement. Mais d’autres présidents comme Senghor du Sénégal, Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire, Ahmadou Ahidjo du Cameroun ou Léon Mba du Gabon se rendront d’abord à Paris, prendront un grande photo avec le Général de Gaulle au milieu, avant de se rendre à Addis-Abeba. Une fois la réunion terminée, ils retourneront à Paris, prendront une nouvelle photo avec le Général de Gaulle au milieu, avant de rentrer dans leurs capitales africaines. La création des Etats-Unis d’Afrique en 1963 à Addis-Abeba ne pouvait que avorter.

Comment des supposés chefs d’Etats pouvaient-ils aller prendre des instructions d’abord et aller rendre compte en groupe ensuite, à Paris, lorsqu’il s’agissait de créer un grand ensemble pour l’avenir du continent africain ? C’est à ce moment au plus tard dans ma jeunesse que j’ai compris que l’Afrique avait perdu la bataille des indépendances, que nous vivions un cuisant échec dans la libération des pays africains. Le 24 février 1966, alors qu'il faisait un voyage en Chine, Nkrumah, encore dans l’avion pour Pékin, est renversé par un coup d’État militaire. Ce sont les Chinois qui le lui annonceront à sa descente d’avion. A Munich, je vois encore comment moi, jeune lycéen, j’assistai impuissant et révolté à la fête que les Allemands organisèrent à la maison des étudiants afro-asiatiques dirigée par un prêtre catholique. Ils avaient invité des étudiants ghanéens à célébrer ensemble la chute du défenseur du panafricanisme qu’était Nkrumah. La leçon était claire pour moi : si tu veux être l’ami des Européens et Américains d’origine européenne, tu dois être contre les intérêts de l’Afrique et des Africains. Si tu oses défendre l’Afrique et tu dénonces le pillage de nos ressources, alors, tu es dénoncé comme maquisard, brigand, assassin, tueur, extrémiste, gauchiste. Ton seul salaire juste est d’être assassiné ou emprisonné sans espoir d’être libéré un jour. Et tous ces pays qui envoyaient leurs armées et leurs mercenaires, tous ces pays qui manipulaient nos enfants devenus traîtres d’eux-mêmes, tous ces pays qui brûlaient nos villes et nos villages, qui assassinaient nos enfants patriotes, oui, tous ces pays clamaient haut et fort être démocratiques, dépositaires des droits de l’homme, pays du progrès et de la liberté ! Il fallait nous clouer le bec à tout prix et nous isoler, nous qui avions le malheur de comprendre les mécanismes du système d’aliénation et de la nouvelle colonisation.

Cela ne nous a pas empêché de danser. De danser au pas de « Indépendance, Cha csha ! »… I ndependance Cha-cha to zuwi ye ! Oh Kimpwanza cha-cha tubakidi Oh Table Ronde cha-cha ba gagner oh! Oh Lipanda cha-cha tozuwi ye! 1. ASORECO na ABAKO Bayokani Moto moko Na CONAKAT na CARTEL Balingani na FRONT COMMUN Bolikango, Kasavubu mpe Lumumba na Kalondji Bolya, Tshombe, Kamitatu, oh Essandja, Mbuta Kanza. Ref/ 2. Na MNC, na UGECO ABAZI, na PDC Na PSA, na African Jazz na Table Ronde mpe ba gagner! Ref/ Au fur et à mesure que je grandissais, je comprenais que pour avoir une place en Afrique, il fallait obligatoirement coucher avec les traîtres et l’Afrique, même la nouvelle police nationale avait pour fonction de traquer tous ceux dont le cœur battait résolument pour le pays. « Si tu ne pactises pas avec le nouveau colon, tu n’a pas de place au soleil dans l’Afrique indépendante. Et tu croupiras au fond des cachots ou tu crèveras de faim dans la misère. On t’isolera, et chez toi, tu seras un « no body ! ». Tiens-le toi pour dit ! » Assommant, ce que tous les signaux nous faisaient comprendre. Beaucoup de nos compatriotes se sont conformés à cette situation, même de vaillants pères, de vaillantes mères qui ont lutté pour l’indépendance se sont finalement rangés à cette nouvelle réalité politique de l’échec de nos indépendances. Pour survivre, ou simplement pour devenir « les gens bien de là-bas », on s’entend, on s’accommode pour régner chez soi en délégué régional d’une puissance étrangère ou d’une multinationale. On ne doit pas son pouvoir à nos populations, mais à un étranger stratégiquement et militairement puissant chez nous. C’est de lui que dépendra si on reste au pouvoir ou si on est éjecté ou tué. On ne vit qu’une seule fois, n’est-ce pas ? Alors, que voulez-vous … En 2010, faut-il toujours mettre les intérêts de son peuple africain en second plan pour pouvoir diriger son pays ? La désillusion est venue chez bon nombre de nos dirigeants africains.

Même ceux qui avaient accepté de pactiser avec les puissances ou multinationales étrangères pour accéder ou rester au pouvoir se sont retrouvés souvent humiliés par leurs interlocuteurs devenus bailleurs de fonds. Ils constataient avec amertume, dans l’isolement du pouvoir, combien il était difficile de mettre en avant les intérêts de son propre pays sans risque de perdre le pouvoir. La marge de manœuvre devient bien étroite dans cet exercice périlleux de la conservation du pouvoir. Même des réformes profondes souhaitées par un chef d’Etat africain doivent être diluées dans un langage qui ne brusque pas le partenaire extérieur, véritable détenteur de la réalité du pouvoir à l’intérieur de nos pays, et les rencontres internationales comme le dernier sommet de Copenhague ne font que confirmer le désarroi profond de nos dirigeants.

 Il est de notre devoir de saluer ces chefs d’Etat africains qui, dans des conditions aussi difficiles d’une indépendance dans la dépendance, ont essayé de gérer avec honneur et patriotisme.

III - Institutions héritées et handicap d’une orientation vers le progrès et le développement Pendant ces cinquante dernières années après l’échec durable des indépendances africaines, la question fondamentale de « Qui sommes-nous ? » et « Où allons-nous ? » n’a pas pu, dans la plupart des cas, obtenir de réponse satisfaisante, je ne parle même pas du début d’application d’une telle réponse ! Avec les indépendances, nous avons hérité d’institutions mises en place par le colonisateur lors de la période triomphante de domination sur nos terres, nous avons continué à les utiliser, comme si elles avaient été crées pour l’intérêt suprême de nos populations. Or on crée une institution pour mettre en application une politique voulue. Celui qui hérite et perpétue cette institution perpétue aussi cette politique qui est à l’origine de cette institution. Il n’est donc pas surprenant que les institutions en Afrique pérennisent la politique coloniale, même si une certaine couleur locale avec une fierté nationale embaument la nouvelle politique dans nos nations africaines. Les Etats actuels eux-mêmes, institutions suprêmes, n’ont pas pu s’affranchir des frontières tracées par le colonisateur

. Ce traçage, parfois avec la règle, comme on peut le constater sur nos cartes géographiques, s’est appuyé sur les intérêts du colonisateur et sur sa capacité à s’imposer vis-à-vis des autres colonisateurs en 1884 à Berlin. C’est dans ce traçage qui a spolié de manière durable la cohésion de nos peuples qu’après 1960, nous devons donc forger de nouvelles nations ! Or l’histoire de l’Afrique nous apprend que nos peuples ont essentiellement vécu dans des Etats - Nations où plusieurs nations s’accordaient à reconnaître un chef suprême qui à son tour laissait à ces nations une marge de manœuvre importante à s’autogérer. L’occident importe donc avec la colonisation un système centralisé de pouvoir, nécessaire à la domination extérieure et qui enlève à nos populations toute initiative réelle pour sa propre gestion. Ce système centralisé, même quand il laisse une petite place à nos populations pour les « affaires indigènes » de moindre importance, nous met entre parenthèses pour les décisions politiques majeures, nous ne sommes concernés par les décisions que pour leur mise à exécution. La grande politique se fait et les décisions majeures se prennent à la métropole, hors du pays. Nous en sommes encore là aujourd’hui, en 2010.

On apprend à nos populations ce qu’il y a lieu de faire, mais les décisions et les orientations se prennent ailleurs, dans des communications entre nos chefs d’Etats et les métropoles hors du pays ou dans les grandes organisations internationales comme la Banque mondiale, le FMI, etc. Nous sommes ainsi pris en otage dans nos propres pays dits indépendants, dans des structures et institutions qui nous handicapent dans notre élan de prendre nos destins en main. C’est vrai que dans nos pays, on trouve des écoles, lycées et universités modernes, des églises et mosquées parfois de renom, des institutions judiciaires avec tribunaux modernes, des structures économiques et d’industrialisation, des infrastructures routières, hospitalières modernes qui affirment notre personnalité de l’Africain moderne. Mais il vaut mieux souvent ne pas y regarder de près et rester dans l’illusion du progrès et du développement. Si vous voulez aller plus loin, posez certaines questions. Aux écoles, lycées et universités, demandez ceci : « Quel est l’héritage scientifique de l’Afrique millénaire que vous enseignez dans les différentes disciplines de vos institutions ? » « Dans quelle langue transmettez-vous le savoir ? » Ou alors, « Suggérez-vous dans vos transmissions du savoir que l’Afrique n’a jamais rien inventé depuis l’origine de l’humanité, savoir digne de figurer dans les programmes de transmission de savoir chez nous ? » Aux institutions judiciaires et à leurs tribunaux modernes, demandez ceci : « Sur quel code vous appuyez-vous pour dire la loi ? » « Quelle est l’origine africaine du Code Napoléon ou de la Common law ? » « Si ces codes sont si universels que vous le proclamez, pourquoi les Chinois ne les appliquent-ils pas aussi en Chine ? » « Qu’avez-vous fait des traditions judicaires de l’Afrique, du droit qui cadre avec nos mentalités, nos cultures et notre histoire millénaire ? » Aux structures économiques et d’industrialisation, demandez ceci : « Pourquoi l’essentiel de l’infrastructure routière et ferroviaire continue-il à relier l’intérieur du pays au port comme Douala au Cameroun, au lieu de connecter tout d’abord l’intérieur du pays ? » « Utilisez-vous déjà votre propre monnaie ou en êtes-vous toujours réduit à utiliser une monnaie étrangère comme depuis les années 1884 ? Le franc CFA des Comptoirs Français d’Afrique devenu le 26 décembre 1945 le franc des Colonies Françaises d’Afrique, mué en 1958 en franc des Communautés Françaises d’Afrique, débaptisé aujourd’hui par l’UEMOA en franc des Communautés Financières d’Afrique et par la CEMAC en franc de la Coopération Financière en Afrique Centrale, a-t-il une planche à billets toujours sous contrôle de la Banque de France et toujours garantie en Euro par le Trésor Français ? Entre la CEMAC et L’UEMOA, leur CFA respectifs sont-ils toujours ni convertibles, ni interchangeables ? A quand une politique monétaire africaine sous notre propre contrôle, sans que la liberté monétaire ne soit une liberté de faire faillite ? » Aux structures hospitalières modernes, demandez ceci : « Quelle est la place de la médecine africaine héritée depuis des millénaires dans la formation de vos médecins et infirmiers et dans vos soins hospitaliers ? » « Pourquoi nos plantes médicinales sont-elles brevetées en occident par les occidentaux et reviennent dans nos structures hospitalières sous forme de médicaments importés ? » Aux églises et mosquées, demandez ceci: « Quel est l’héritage de l’Afrique, berceau de l’humanité, dans les religions professées dans vos églises et mosquées ? » « Pourquoi vos enseignements religieux se limitent-ils essentiellement aux deux derniers millénaires sur les 5,5 millions d’années que compte l’humanité ? » « Que dites-vous de l’apport religieux de l’Africain depuis les 150.000 ans où l’homo sapiens négroїde a fait son apparition en Afrique avant d’arriver en Europe il y a 40.000 ans ? » « Il n’y a donc de salut que quand il n’est pas d’origine africaine, même quand le noir est le premier être humain sur terre comme Adam et Eve et que l’Afrique demeure le berceau de l’humanité ? Avez-vous révélé à vos chrétiens dans vos Eglises d’Afrique que Enoch qui fut enlevé par Dieu pour qu’il ne vît point la mort parce qu’il était agréable à Dieu était un noir d’Ethiopie ? Vos chrétiens africains savent-ils que Enoch a écrit son livre saint environ 40 à 80 ans avant le déluge de Noé, donc 9000 avant Jésus Christ, et que le Christ citait le livre de Enoch par cœur ? Où est le livre d’Enoch dans vos bibles depuis qu’il fut écarté de la bible par l’Evêque italien Filastrius de Brescia en 398 après Jésus Christ ? Vous rappelez-vous, au vu de ces dates d’Enoch, que la Genève dans la bible ne date que de 1400 avant Jésus Christ ?» Aux gouvernements, aux communautés urbaines et mairies, demandez ceci : « Où sont les monuments des grands rois africains, des savants et inventeurs noirs, de nos martyrs qui ont dit non à l’invasion étrangère et qui ont payé de leurs vies ? Où sont les places, les rues qui portent leurs noms pour construire notre mémoire ? Où se trouvent les monuments, les places, les rues Lock Priso, Duala Manga Bell, Martin Paul Samba, Ruben Um Nyobé, Albert Ndogmo, Ernest Ouandié ou d’autres héros à Douala, Yaoundé, Bafoussam, Garoua, Maroua ou ailleurs au Cameroun ? Pourquoi nos décideurs ont-ils si peur des repères, de la mémoire de notre peuple ? Ces questions sont à transposer dans chaque pays africain en cette année 2010, en nommant leurs héros respectifs » IV - Institutions et corruption En répondant vous-mêmes à ces questions, vous vous serez rendu compte que nos institutions en Afrique traînent un handicap lourd pour une évolution vers le progrès et vers un développement au service de nos populations et de notre continent. Nos institutions sont demeurées essentiellement tournées vers l’extérieur, donc extraverties, elle fonctionnent en Afrique au profit des Non Africains, avec les impôts payés par ces mêmes Africains. Quand le colonisateur s’est imposé chez nous au 19è siècle, il a utilisé des soldats mercenaires africains importés d’autres pays africains pour la conquête coloniale, comme les cru boys et soldats dahoméens, souvent venus de Ouiddah, utilisés par les Allemands pour leur campagne militaire au Cameroun. Pour une bouchée de pain, ces Africains ont aidé le colonisateur comme soldats, porteurs et bordels dans sa conquête de notre pays. Mais d’autres Camerounais s’y sont aussi associés, dans les mêmes conditions.

Certains de nos rois ont accepté de se faire corrompre financièrement, pour qu’ils ouvrent la porte au conquérant ou pour qu’ils l’aident à avancer dans la lutte contre d’autres rois africains. La vision étriquée du profit individuel contre le sort de tout un peuple et la recherche du gain immédiat ont permis à la corruption de s’installer pendant la période coloniale comme moyen essentiel de la politique du colonisateur contre les colonisés. Celui qui n’acceptait pas cette corruption était écarté, démis de ses fonctions, exilé ou assassiné. L’ordre colonial devait régner par tous les moyens ! Avec les indépendances qui ne devaient en aucun cas aboutir à l’indépendance réelle, il fallait corrompre des Africains pour obtenir d’eux de se dresser contre les patriotes en lutte, leur offrir des avantages personnels exorbitants et les orienter vers des stratégies de gain individuel au détriment de l’intérêt suprême du jeune Etat. La lutte pour le pouvoir se réduisit ainsi à une lutte pour un enrichissement personnel, immédiat et rapide. En politique, il ne s’agit plus d’orientation stratégique pour faire avancer le pays selon telle ou telle conviction, mais de parvenir à sa part individuelle dans le partage du gâteau national. Dans une telle atmosphère politique, la corruption devient roi. Elle est alors le meilleur moyen de parvenir le plus rapidement possible à ses objectifs, puisqu’il ne s’agit pas de gagner les gens pour telle ou telle orientation politique, économique, philosophique ou spirituelle, mais de les enrichir un peu pour permettre au corrupteur d’avoir la voie libre à un enrichissement plus grand. Le corrupteur paie donc un droit de passage naturel. En 2010, la corruption a gangrené les institutions de l’Etat post-colonial en Afrique à tel point que même les pays occidentaux qui l’ont introduite dans le système politique colonial s’en offusquent et sonnent l’alarme. En effet, grâce à l’indépendance relative, les fonctionnaires des institutions héritées sont devenus des nationaux. Or ces fonctionnaires exigent pour la moindre signature des pots de vin exorbitants, même aux anciens colons qu’ils ne laissent gagner aucun marché sans exiger leur 15%, voire 30% comme contre partie.

La corruption s’est ainsi retourné contre celui qui l’a introduite dans le système politique et de gestion colonial, et l’occident y perd énormément d’argent et de temps. La lutte contre la corruption est d’une nécessité vitale pour les pays africains et les chefs d’Etats qui en ont fait leur cheval de bataille dans leur pays doivent être soutenues par une mobilisation générale de la société contre ce cancer. Mais les textes de loi contre la corruption ne suffiront jamais pour l’amoindrir sensiblement. Les Africains ont besoin d’une orientation politique à laquelle ils adhèrent vraiment, à un projet de société qu’ils ont conçu eux-mêmes et qu’ils sont décidés à mettre en application. La question du pouvoir doit être réglée sur une base respectant nos traditions, nos mentalités et les convergences modernes des droits des peuples et des droits de l’homme. Ce concept basé sur un consensus général parce que largement discuté et accepté doit clarifier comment accéder et comment rester au pouvoir sans effusion de sang dans nos pays, les mécanismes doivent obliger tout un chacun au respect des règles admises, sans exception, et les institutions issues de ce consensus général doivent garantir la stabilité du système. En clair : on ne changera plus les institutions, ni surtout la constitution au gré des opportunités. La constitution deviendra alors une véritable loi fondamentale difficilement modifiable et le chef de l’Etat devra à son tour s’en porter garant. Avec une ouverture politique dans les pays africains actuels, il est possible d’élaborer ce projet de société et de gagner l’adhésion des citoyens. Les populations décidées à gérer enfin leur destin collectif réduiront sensiblement l’espace de corruption dans la gestion des affaires publiques et veilleront au respect des institutions.

 Les pays africains auront alors fait un grand saut qualitatif. V - Les chances de l’Afrique pour une indépendance renforcée au 21è siècle Le monde bouge, les géostratégies se transforment, l’Afrique a de nouveau ses chances. L’Europe coloniale des métropoles s’est muée en une puissante Union Européenne face à laquelle aucun Etat africain ne fait le poids tout seul. Mais à l’intérieur des rangs de l’occident, il n’y a plus de délégation pour une représentation globale des intérêts de l’occident, comme ce fut le cas pendant la guerre froide. La France, à cette époque-là, a eu le privilège de jouer le « gendarme de l’Afrique », grâce à la complicité, et à la collaboration stratégique, politique, militaire et financière des autres pays occidentaux, y compris les USA. En 2010, les Etats-Unis d’Amérique entendent jouer leur rôle directement sur le continent africain et défendre leurs propres intérêts, sans intermédiaire européen. Avec Barack Obama, fils d’un Kenyan à la tête des USA, la perception de l’Afrique est un peu différente, les USA attendent surtout de l’Afrique qu’elle s’émancipe de ses liens coloniaux avec l’Europe et qu’elle se définisse elle-même sur la scène internationale. Or cette scène internationale est aujourd’hui bousculée par la Chine de Pékin et par l’Inde. Au traditionnel sommet franco-africain, et au développement des sommets Europe - Afrique, la Chine a mis sur pied le sommet Chine - Afrique qui a réuni en novembre 2006 48 chefs d’Etats Africains sur 53. Le Président Chinois a déjà pris l’habitude de sillonner l’Afrique.

Le sommet Inde - Afrique avec la participation de 14 chefs d’Etats vient de se terminer ce 9 avril 2010 à New Delhi et un nouveau rendez-vous est pris pour 2011. A Abuja au Nigeria déjà en novembre 2006, se tenait le premier sommet Afrique - Amérique Latine, et en sept 2009 se tint au Vénézuéla le 2è sommet Afrique - Amérique Latine avec 20 Chefs d’Etats africains et 8 chefs d’Etats latino-américains. Le Brésil, avec 80 millions de Noirs et Métis, soit près de 48% de ses habitants, compte la deuxième population noire au monde après le Nigeria. Nous sommes donc loin du monde bipolaire est-ouest qui avait déterminé l’accession des pays africains à l’indépendance. Les tentatives des pays africains, asiatiques et latino-américains dans les années soixante à quatre-vingt pour un espace politique de non alignement n’avaient pas réussi, et les pays africains dans leur écrasante majorité étaient forcés à demeurer dans le camp occidental. Aujourd’hui, nous sommes passés de l’hégémonie occidentale à un polycentrisme de fait dans la Realpolitik internationale. Il est significatif que les pays africains participent en bloc dans ces sommets, sous l’égide de l’Union africaine, et non plus en rangs dispersés. Les débats des années soixante ont repris, avec des partisans qui militent pour une Union Africaine avec un gouvernement centralisant certains pouvoirs, et d’autres qui souhaiteraient voir en l’UA un club de chefs d’Etats n’engageant pas vraiment les pays jaloux de leur souveraineté.

Soyons sincères : les chefs d’Etats qui depuis 1963 ont refusé un gouvernement africain centralisant certains pouvoirs nous ont perdu le temps. Leurs calculs ne visaient que leur propre pouvoir personnel et celui de leurs mandataires extérieurs, ce qui peut se comprendre. Mais nous en avons assez ! La priorité des priorités d’une Afrique qui se veut indépendante est une Union Africaine avec un gouvernement central fédéral sous la forme d’Etats-Unis d’Afrique avec de solides structures d’intégration régionale et sous-régionale. Pour aller dans cette direction urgente, chaque Etat africain devrait se doter dès maintenant d’un Ministère chargé de l’unification de l’Afrique et de l’intégration régionale. Le travail de ce ministère consisterait à travailler en étroite collaboration avec tous les autres ministères d’un pays en question pour veiller à ce que les décisions majeures de chaque ministère aillent dans la direction de cette unification et de cette intégration.

 Ce ministère dans un pays donné serait en communication permanente avec les autres ministères du même genre installés dans les autres pays africains, pour la coordination des efforts communs au sein de l’Union Africaine actuelle. On pourrait m’objecter : et la souveraineté nationale des Etats actuels ? Ma réponse : nous avons besoin de patriotes africains à la tête de nos Etats actuels pour parvenir aux Etats-Unis d’Afrique. Ceux-là comprennent l’urgence de telles structures qui dans chaque pays, sont de toutes façons sous la tutelle de la Présidence des républiques actuelles. Les Etats-Unis d’Afrique ne vont pas abolir les structures ou le pouvoir politique local, mais permettront à l’Afrique de parler d’une seule voix devant des partenaires mondiaux devenus très puissants. Ce n’est qu’en renouant avec ce concept des Etats-Unis d’Afrique des pères visionnaires de l’indépendance africaine que nous pourrons jeter les bases d’une monnaie unique et d’un développement africain authentique, centré sur nos besoins et respectant nos mentalités et notre vision du monde. Il faudrait rendre un hommage mérité à Marcus Mosiah Garvey qui, le 1er août 1920 à New York, sous la bannière de l’UNIA (Universal Negro Improvement Association and African Communities League crée en août 1914), proclama les Etats-Unis d’Afrique et en devint le premier Président.2 Par la suite, les panafricanistes W.E.B. Dubois, Kwame Nkrumah, des leaders du RDA comme Sékou Touré et autres plaideront pour les Etats-Unis de l’Afrique, sous une forme ou une autre, bien avant 1960 et aussi après, surtout pour faire face à la balkanisation du continent, ce morcellement qui a fait de nos Etats des entités incapables de survivre seuls.

L’Afrique a besoin de ses propres concepts pour son présent et pour son futur et nous disposons suffisamment de génie pour concevoir. Merci pour tous ces modèles importés. Ils nous ont assez détournés, ils nous ont assez ruinés comme ça ! Nous ne voulons pas devenir des pays dits émergents avec des habitants pauvres. Nous ne voulons pas travailler pour les autres dans notre propre pays et vivre dans la misère parce que c’est eux qui auront conçu notre travail, parce que c’est eux qui auront conçu et financé l’exploitation de nos ressources. Que chaque gouvernement africain s’engage à s’impliquer dans ce slogan : « Concevoir l’Afrique et son destin, c’est l’affaire des Africains et de personne d’autre ! ». Nous avons le génie pour, mettons les structures en place dans chaque pays, en collaboration avec les politiques, les intellectuels, les chercheurs, les artistes, les écrivains, les créateurs, les dépositaires de la tradition africaine, avec toutes les couches de la population, réinventons notre culture de dialogue et de palabres africaines et en dix ans seulement, l’Afrique aura fait un grand bond en avant. Nous aurons dégagé un consensus pour la direction commune à prendre, et les débats et travaux de l’Union Africaine à Addis-Abeba ne seront plus seulement réservés à des initiés ou à des experts si peu proches de nos populations. Avec des concepts de gouvernement et de développement basés sur un consensus propre aux Africains et à leur vision du monde, les conditions de bonne gouvernance, la promotion de l’esprit d’entreprise, l’atmosphère favorable aux investissements seront renforcés dans ce marché de plus d’un milliards d’habitants d’un continent très riche. Le monde bouge, l’Afrique bouge, et à l’intérieur des pays industrialisés, les citoyens attendent une autre Afrique, une Afrique de la bonne gestion, une Afrique de l’espoir.

Des citoyens dans ces pays se mobilisent pour que la politique d’une Afrique qui doit seulement être pillée change, pour que leurs pays développent une nouvelle conception d’une Afrique véritablement partenaire dans un jeu gagnant – gagnant, au-delà des slogans. Ces mouvements ne font que s’amplifier et demandent le retour dans les pays africains des biens mal acquis détournés par les dirigeants et fonctionnaires africains et ayant obtenu un refuge peu honorable chez eux. Ces citoyens se battent pour une éthique politique et économique à l’intérieur de leur propre pays et ne veulent pas que cette éthique soit souillée par des dirigeants étrangers peu scrupuleux, fussent-ils africains. Ainsi, leur action pour une transparence dans la gestion chez eux devient un acte de solidarité pour les peuples africains. Avec la révolution des nouvelles technologies de l’information, ces mouvements prennent une ampleur impressionnante dans une jonction transcontinentale. Les patriotes africains ne sont donc plus seuls quand ils réclament une gestion transparente des affaires dans leurs pays. La mobilisation est devenue mondiale, avec des structures de rencontres et d’échanges efficaces pour un monde plus juste. L’Afrique est un continent d’avenir, et en 2010, les peuples africains aussi ont évolué. Ceux qui aujourd’hui ont cinquante ans n’ont pas connu le colonialisme direct dans plusieurs pays, ils ont d’autres comportements et ne voudraient plus attendre. En plus de cela, la population africaine est surtout jeune et la jeunesse tend à dépasser les 50% de la population dans beaucoup de pays. La jeunesse du monde entier sera de plus en plus africaine, et en 2050, 29% des jeunes du monde seront des Africains, et ils n’attendront pas encore quarante ans pour prendre leur destin en main. Le monde bouge, et l’Afrique bouge. Les indépendances des années soixante et soixante dix, malgré leurs échecs et insuffisances, ont été un tremplin important pour la construction des Etats du continent. Cinquante ans après, nous disons que nous sommes prêts pour la deuxième étape de libération. Nous nous battons et nous continuerons à nous battre pour que l’Afrique avec ses immenses richesses soit habitée par des citoyens qui vivent dans la dignité financière et dans la dignité humaine. Alors, l’Afrique, cette Afrique-là, donnera le meilleur d’elle-même à l’humanité entière.