«Non, tu n’es pas maudite» Par Beethova OBAS (chanteur Haïtien)

«Non, tu n’es pas maudite» Par Beethova OBAS (chanteur Haïtien)

TEMOIGNAGE DU CHANTEUR HAÏTIEN BEETHOVA OBAS.

Bruxelles, 23 heures, j’apprends par Internet qu’un tremblement de terre vient de frapper Haïti. Mes yeux incrédules lisent et relisent le communiqué laconique qui défile au bas de l’écran. L’immédiateté ne permet pas de prendre l’ampleur du désastre, l’absence d’images diminuant l’intensité du drame. Très vite, après quelques appels sans réponse, je comprends.

Encore nous ! Premières images apocalyptiques ! L’horreur, impitoyable !

Je récapitule : 2008, Haïti est frappée par quatre cyclones dévastateurs faisant des milliers de morts, dont certains jamais dénombrés, et voilà que sa terre tremble, engloutissant ses enfants ! L’analyse de la situation ne s’impose pas de prime abord. Les cœurs se serrent lorsqu’on réalise qu’aucune communication ne permet d’obtenir des nouvelles de la famille et des proches. L’attente est interminable et les idées se succèdent dans le désordre. Un sentiment de culpabilité m’étreint, surtout lorsque j’apprends que la catastrophe était prévisible ; pire, prévue depuis déjà deux ans. Je m’insurge. Contre moi-même, d’abord. Où étais-je ? Que faisais-je en tant qu’artiste, en tant que messager, porte-voix d’une majorité à laquelle on ne donne jamais la parole !

Pourquoi n’ai-je point su qu’un tel danger planait sur mon pays ? L’aurais-je dénoncé en chansons ? Et les dirigeants ? Eux savaient ! Mais les intérêts capitalistes d’une minorité ont, une fois de plus, force de loi par-delà le bien-être de toute une population croulant dans la misère. A quoi servent un chef d’Etat et son gouvernement s’ils sont inaptes à appuyer sur la sonnette d’alarme ! Facile, dès lors, de parler «d’Haïti la maudite.» Autour de moi j’ai entendu dire que nous payons nos erreurs, pardon ! Nos fautes. Nos fautes de Nègres adeptes de vaudou, de sorcellerie et de magie noire ! A nous Gomorrhe !

Non, Haïti n’est pas une terre maudite, elle se situe sur le passage des vents et une plaque tectonique la prédispose aux cataclysmes naturels. La sonnette d’alarme est tirée ! Les mesures de prévention devraient être mondiales ! La population n’a jamais été préparée à la moindre catastrophe naturelle, mais le malheur n’est pas l’apanage de l’Autre !

L’apocalypse est telle qu’elle touche toutes les classes sociales, étrangers et ONG inclus. Faut-il que l’horreur soit si dévastatrice pour que la communauté internationale se mobilise enfin ?

Depuis des décennies, Haïti agonise, mais nul ne se sent véritablement concerné. Que la première république noire, indépendante depuis 1804, soit le pays le plus pauvre du continent américain, voire de la planète, n’émeut personne. Aujourd’hui, le monde entier se mobilise face à cette catastrophe ; voilà qui montre que l’entraide est possible. Chez nous, les dirigeants sont majoritairement des incapables. Lorsqu’une tête pensante émerge avec le bouclier de l’incorruptibilité et du savoir, elle est vite décapitée. Au figuré ! Encore heureux ! Je ne décolère pas parce que l’histoire de mon pays pourrait s’intituler : «Chronique d’une catastrophe annoncée !»

Pardon Haïti ! Ne te laisse pas mourir ! Dans les décombres qui t’ont engloutie, laisse-nous t’insuffler la force d’ouvrir les yeux pour te tourner vers la lumière. Je vais chanter pour toi à en perdre la voix pour te réconforter, et rendre les choses plus justes. Mon refrain reviendra porteur d’un même message : «Non, Haïti tu n’es pas maudite, des mains se tendent au loin pour te ressusciter et te bâtir enfin !»

Wroclaw (Pologne), lundi 18 janvier 2010.

Dernier album paru : "Kè'M Poze" (Créon Music, 2004)