Matthias Leridon ''Il faut changer notre regard sur l'Afrique''

 Matthias Leridon "Il faut changer notre regard sur l'Afrique"

Matthias Leridon, président de Tilder

Entre l'ouverture imminente de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, le Jubilé célébrant les cinquante ans de l'accession à l'indépendance de dix-sept Etats d'Afrique noire et le prix du jury décerné à un film tchadien lors du dernier festival de Cannes, l'actualité africaine de cette année 2010 est riche et nous invite à modifier le regard que nous portons sur ce continent.

Qu'on permette à un simple amoureux de l'Afrique de profiter du fait qu'elle va se trouver durant quelques semaines au centre du monde et de l'attention médiatique pour participer à cette salutaire entreprise de dépoussiérage. Mais après tout, pourquoi faudrait-il changer le regard que nous portons sur l'Afrique ? Principalement pour deux raisons. La première est que l'image qu'on s'en fait habituellement – celle d'un continent perpétuellement en retard, condamné à rater toujours le train du développement et à rester une charge pour le reste du monde – ne correspond tout simplement plus à la réalité. La deuxième est que le redressement africain, entamé depuis un certain temps déjà, va probablement changer les termes du rapport que l'Afrique entretient avec le reste du monde (celle de l'assistance humanitaire et de l'aide au développement entre autres) : on peut parier notamment que dans les années à venir, l'Europe aura autant besoin de l'Afrique que l'Afrique a aujourd'hui besoin de l'Europe.

Dire qu'aujourd'hui l'Afrique va bien et affirmer qu'elle ira sans doute de mieux en mieux n'est ni une provocation gratuite, ni un vœu pieux. Les problèmes que doivent affronter les pays africains sont certes nombreux et parfois aigus. Mais après la décennie "noire" des années 1990, l'Afrique a relevé la tête, avec ou sans l'aide des pays développés et parfois malgré elle. Mais nous sommes tellement accoutumés à entendre le discours misérabiliste de rigueur, qu'il soit accusateur ou fataliste, que nous en avons oublié l'Afrique réelle et vivante pour n'en retenir que les aspects qui correspondaient à cette vision préétablie, celle d'un continent à la dérive, enfoncé dans la misère et resté à l'écart du reste du monde (une vision très eurocentrée et extrêmement ancienne dont il vaudrait la peine de faire la généalogie).

Or, l'Afrique actuelle est entrée résolument dans la mondialisation économique et culturelle et elle sera bientôt en position d'en tirer tous les bénéfices. Pour prendre toute la mesure de la nature et de l'ampleur de ce redressement, il faut avant tout s'efforcer de voir l'Afrique pour ce qu'elle est. Cessons de déplorer le retard de l'Afrique, comme si la seule voie possible pour elle était d'imiter le modèle de développement et de croissance occidental. Cessons aussi (même si c'est avec les meilleures intentions du monde) de célébrer l'Afrique comme une terre de traditions et un continent tourné vers le passé : celui du "premier homme" et des arts premiers. Tournons-nous plutôt vers l'Afrique contemporaine qui recèle d'immenses richesses et témoigne d'une extraordinaire vitalité sociale, économique et culturelle.

L'AFRIQUE A BEAUCOUP À NOUS APPORTER ET ENCORE PLUS À NOUS APPRENDRE

Voilà la deuxième bonne raison de regarder autrement l'Afrique : car ce dont le continent et ses habitants ont besoin d'aujourd'hui, c'est avant tout de partenaires – commerciaux, industriels et financiers – et certainement pas de tuteurs, de pleureuses ou d'âmes charitables. Certains pays regroupés sous l'appellation de BRIC – en particulier la Chine, l'Inde et le Brésil – ont bien saisi les enjeux de cette nouvelle donne africaine et c'est sans doute l'absence d'un passif colonial qui leur permet de se positionner efficacement dans ce domaine. Il est temps de laisser aux historiens le soin de discuter la nature et l'ampleur des séquelles héritées du passé pour tenter d'établir des relations plus équilibrées avec le continent africain.

Oublions les débats idéologiques et raisonnons en termes purement économiques : avec des taux au-delà des 5 % dans beaucoup de pays et une croissance globale probablement sous-estimée, l'Afrique doit être désormais considérée comme une source de croissance et non plus comme un continent à la traîne. Elle recèle le même potentiel développement que celui des pays dits émergents : il faut donc la traiter de la même façon et lui tenir le même langage. Ce n'est pas seulement une question de justice, c'est également une question d'intérêt bien compris. Car l'Afrique est riche : loin d'être seulement une gigantesque réserve de matières premières ou une pépinière de sportifs de talents, le continent africain recèle de formidables potentialités de développement qui feront probablement de lui un moteur de croissance pour l'économie mondiale.

Voilà pourquoi le discours européen et occidental au sujet de l'Afrique doit changer de registre, sous peine de manquer l'opportunité d'établir des relations fructueuses et équilibrées avec un futur acteur économique d'importance. Continent jeune et dynamique, l'Afrique est d'ores et déjà un géant démographique qui deviendra peut-être le premier marché commercial, pour peu qu'elle parvienne à convertir sa richesse intérieure en développement économique.

L'Afrique a beaucoup à nous apporter et encore plus à nous apprendre. Souhaitons que les milliers de spectateurs et de téléspectateurs qui vont assister à la Coupe du monde profitent de cette occasion pour porter un regard neuf sur un continent qui change et qui n'a sans doute pas fini de faire parler de lui.

Matthias Leridon a publié L'Afrique va bien (Nouveaux Débats publics).

Matthias Leridon, président de Tilder