Un homme Noir humilié pour une cigarette

 Un homme Noir humilié pour une cigarette

par Angel G., Etudiant en Droit

Nous sommes un soir de début mai dans un quartier de Lille, il est environ 23h45 quand soudainement, les habitants d'une petite rue sont brusquement réveillés. Des voix s'élèvent sur le trottoir très rapidement entre un groupe de jeunes. Parmi ces jeunes, un garçon d'une petite  trentaine d'année d'origine africaine pris à partie par 3 autres jeunes d'origine maghrébine qui semblent lui chercher des ennuis. Comment cela a-t-il débuté ?

Samuel, guinéen est venu étudier en France en début d'année les mathématiques et les sciences appliquées. La vie n'est pas facile tous les jours pour ce jeune homme Sa famille vit loin de lui, à plus de 4000 kilomètres... Il doit faire preuve de beaucoup de courage pour réussir à vivre, travailler et aussi étudier en même temps... Seulement voilà, ce soir là le sort décida de s'acharner contre lui.


Samuel rentre tranquillement chez lui, il vit dans ce quartier pauvre de Lille, connu par les services de police pour sa délinquance croissante depuis quelques années. Marchant tranquillement sur le trottoir et à quelques mètres de chez lui, il se fait interpeller par trois jeunes de 16-18 ans. Vêtus de joggings casquette, ces jeunes demandent alors d'un ton agressif :


-« Hé toi, t'as pas une clope ? »
-« Non j'ai rien » réponds Samuel.
-« Ouai c'est ça sale négro va ! » répondent les trois jeunes d'un air provocateur.


Le ton grimpe très vite, les jeunes voyous semblent vouloir en découdre... Ils encerclent très vite le jeune africain et l'insultent avec une violence inouïe. Des propos le rabaissant dans sa condition d'homme, l'insultant d'esclave, insultant sa famille notamment sa grand-mère par des propos obscènes, dénuées de tout fondement moral.


Arrive alors l'inévitable sous les yeux des quelques habitants accoudés à leur fenêtre, la bagarre éclate. Les jeunes voyous frappent violemment ce jeune africain d'une trentaine d'année, il est par terre, ils continuent à le passer à tabac avec une grande détermination. Sous cette injuste violence, des habitants sortent de leurs maisons et leur présence apaise naturellement les agresseurs qui se sentent moins en sécurité.


C'est alors que la police fait son apparition à l'aide de deux véhicules. Si dans ma précédente chronique j'ai souligné l'efficace et rigoureuse intervention de la police, force est de constater cette fois-ci mon incompréhension face à l'inefficacité rocambolesque des forces de l'ordre. Ils aperçoivent les trois jeunes prendre la fuite, passer sous leur nez et ne font rien.


Le jeune Samuel est effondré. Lui, un jeune homme d'une trentaine d'année, violenté par ces trois jeunes à peine majeur dans un pays qu'il ne connaît ni d'Adam ni d'Eve. Son amour propre en a pris un coup, c'est indéniable. Il est soudain pris par un profond sentiment de dégout, d'incompréhension, de tristesse. Pourquoi personne n'est venu l'aider ? Pourquoi ces jeunes l'ont-ils frappé ? Pour une cigarette ? Pourquoi la Police ne les a pas arrêtés ?


Déboussolé il est à présent partagé par un sentiment de culpabilité et de vengeance, il rebrousse chemin et cherche ses jeunes qui ont si aisément échappé à la police sans même courir. C'est alors que pendant sa marche il croise une voiture de police qui effectue une ronde toujours dans les environs suites aux différents appels téléphoniques... Il s'approche de la voiture et dit alors :


-« Monsieur, c'est moi ! Ils m'ont agressé » avec de la panique, une voix tremblante et hésitante.
-« Arrête de roder ou on t'embarque! » répond alors un policier toujours dans son véhicule.


A présent anéanti, Samuel s'éloigne et se résout à rentrer chez lui.


Sur le chemin du retour, il remarque l'un de ces jeunes adossé à une voiture. Ce jeune en question remonte en voiture, et c'est alors que le véhicule entreprend une marche arrière pour arriver au niveau du jeune guinéen. Les occupants de la voiture sortent alors rapidement et se rapprochent de Samuel. Le conducteur, jusqu'alors inconnu du jeune homme africain, reste au volant le contact toujours allumé.


-« Ah ça y est, vous revenez en bande ! » s'exclame Samuel.
-« Vazy ferme la ! Sinon on te tue et te fout dans le coffre sale négro » répond l'un des jeunes.
-« On te retrouvera ! » rajoute-t-il.


Les voyous remontent alors en véhicule en s'enfuyant à toute allure...


A présent interrogeons-nous d'un point de vue légal, qu'encourent ces personnes, si la victime décidait toutefois de déposer une plainte?


Les trois jeunes délinquants s'exposent à une contravention de 4ème classe. L'infraction qu'ils ont commis est visée par l'article R 624-1 du Code pénal. Cet article dispose que « Hors les cas prévus par les articles 222-13 et 222-14, les violences volontaires n'ayant entraîné aucune incapacité totale de travail sont punies de l'amende prévue pour les contraventions de la 4ème Classe. »


Ils encourent donc un maxima de 750€. De plus, ils ont agit en réunion. La réunion est une circonstance aggravante quand il est question d'appliquer l'article 222-13 mais il est également pris en compte sous l'appellation de violences collectives pour l'article R 624-1 du Code pénal pour aider les juges du fond à justifier leurs décisions quand ces derniers retiennent la culpabilité des délinquants.


La question se pose pour le conducteur de véhicule qui n'a pas pris initialement part à l'agression mais qui néanmoins a permis la fuite des co-auteurs des violences. Le conducteur, en ayant permis la fuite des délinquants, se rend coupable de complicité par aide ou assistance, posée par l'article 121-7 alinéa 1 du Code pénal.


Enfin, dans l'hypothèse ou ces jeunes étaient effectivement mineurs de 16 à 18 ans, l'excuse atténuante de minorité n'est que facultative, une solution qui permet au juge de leur attribuer la moitié du maximum encouru pour les majeurs.


D'un point de vue socio-politique, quelles sont les conséquences de cette agression ?


Tout d'abord, cette situation a rappelé aux témoins de cette agression le climat d'insécurité qui règne régulièrement dans certains quartiers de Lille. Les effets psychologiques de cette agression dépassent largement la rue dans laquelle elle s'est produite. En effet, bon nombre d'habitants raconteront cette histoire à leurs amis ou proches, qui à leur tour rapporteront les faits à d'autres personnes, avec une réalité des fois quelques peu déformées mais qui au final, a des chances de contribuer à faire augmenter le sentiment d'insécurité. De plus, cette agression entre deux jeunes d'origines maghrébines et une personne d'origine africaine a des chances d'attiser également la haine inter-ethnique.


Cette histoire est l'une de celles qui seront utilisées par certains élus locaux pour étayer tantôt des théories visant à lutter contre l'immigration, tantôt des théories visant à lutter contre la délinquance en politisant cette situation...


D'un point de vue moral : Doit-on laisser une personne se faire agresser injustement ?


Il est évident que non... Beaucoup partagent le désir intérieur de réparer une situation profondément injuste. Cependant beaucoup étaient alors partagées par des sentiments contradictoires et malgré tout complémentaires. D'un côté, ils éprouvaient le désir de s'opposer au passage à tabac de ce jeune guinéen, mais étaient également tétanisés de peur face au risque d'exposer sa propre personne à une agression naissant de l'interposition entre la victime et l'agresseur. Juridiquement notre droit le permet et va même au-delà de la simple interposition. La légitime défense posée par l'article 122-5 du Code pénal permet de se défendre contre une agression envers soi-même, autrui ou un bien, quand toutefois l'agression est actuelle ou imminente, réelle et injuste. Dans ce cas, la riposte doit être immédiate, proportionnée et ne pas aboutir à une infraction involontaire.


Pourtant, la peur de s'exposer à un danger ne peut pas être reprochée aux habitants de la rue. D'une part il est moralement concevable que chacun doit s'interroger préalablement sur ses propres compétences et l'opportunité d'affronter trois adversaires afin de venir en aide à ce jeune guinéen.


Dans l'hésitation, la meilleure chose à faire est encore d'appeler la Police..."